Transphobie dans le milieu médical : interview de membres de Chrysalide.

Transphobie dans le milieu médical : interview de membres de Chrysalide.

 

Dans le cadre de notre mois dédié aux discriminations en santé, nous allons parler de la transphobie. Pour cela, nous avons interviewé Sophie Berthier, co-fondatrice et secrétaire-trésorière, et David Latour, co-fondateur et président de l’association Chrysalide à Lyon dont voici le site internet https://www.chrysalide-asso.fr

 

Quelles sont les attentes spécifiques des personnes trans dans leur prise en soins ?

 

En 2011, nous avions rédigé une brochure intitulée "Enquête santé Trans 2011". Elle est consultable sur notre site et commandable gratuitement en format papier. Force est de constater que la situation n’a guère évolué depuis les conclusions alarmantes que nous tirions déjà à l’époque.

 

Avant même de parler des attentes spécifiques des patients trans, il convient d'aborder les besoins élémentaires qui devraient être respectés pour toute personne ayant recours à la médecine. Ce sont d’abord ces besoins-là qui doivent être pris en compte dans les relations entre une personne trans et son/sa praticien.ne de santé. Le premier besoin est celui d'être accepté.e en tant que patient.e chez un.e praticien.ne. Le second est que son intégrité physique soit respectée. Le troisième est d'être considéré.e dans sa totalité en tant que patient, et non uniquement en tant que personne trans. Ces trois points ne forment pas de hiérarchie et devraient être d’une évidence absolue.

 

Pourtant, depuis 15 ans, nous récoltons des témoignages de personnes nous faisant part de refus de prise de rendez-vous au motif que le/la praticien.ne "ne reçoit pas ce genre de personnes" pour citer un usager. D’autres encore nous alertent sur le fait qu'un médecin leur a demandé de se dévêtir pour regarder des résultats opératoires sans que le motif de la consultation ne soit en lien avec un quelconque suivi post-opératoire, ni que le médecin ait précisé qu'il s’agit de curiosité de sa part et que l'intérêt du/de la patient.e n’est pas ce qui le motive. D’autres enfin nous rapportent que leur médecin traitant a précisé à un.e confrère spécialiste vers lequel/laquelle elles étaient orientées, qu'elles sont trans alors que le motif de consultation n'a strictement aucun rapport avec leur transition. Nous sommes donc très loin de pouvoir parler d'attentes spécifiques des patients trans à ce stade, mais plutôt de la façon bien trop spécifique dont beaucoup de médecins français conçoivent encore l'accueil des patient.e.s trans. Or, les patient.e.s trans ont le besoin et le droit d’être accueilli.e.s comme tou.te.s les patient.e.s. La transidentité doit absolument être prise en compte, mais seulement lorsque cela est pertinent.

 

Des résident.e.s en zones frontalières nous ont d'ailleurs fait part de leur stupéfaction face à la différence de traitement dont ils et elles bénéficient auprès de médecins étrangers consultés (suisses, allemands, belges, notamment), avec qui des examens génitaux non consentis sont absolument impensables, contrairement à ce dont ils et elles ont fait l’expérience avec des médecins français.

 

Nous savons que les suivis des patient-es trans sont parfois jalonnés de refus de soins notamment pour tout ce qui est prescription de traitements hormonaux. Pouvez vous nous en dire plus sur les principales discriminations subies par les personnes trans ?

 

"Parfois" est un euphémisme. Dans plusieurs départements, il n'y a absolument aucun endocrinologue qui accepte ne serait-ce que de recevoir des personnes trans. Le refus de soins en terme de suivi hormonal n'est donc pas une exception, mais est devenue la règle. Ce sont les médecins qui acceptent d'effectuer un suivi hormonal qui font figure d'exception. De ce fait, les médecins généralistes ont un rôle majeur à jouer pour sortir de cette impasse : beaucoup bottent encore en touche lorsqu'ils et elles sont sollicité.e.s, arguant que ce serait aux endocrinologues d'effectuer ce suivi. Pourtant, dans la mesure où la réalité de terrain est qu'un nombre insuffisant d'endocrinologues assument leurs responsabilités vis à vis des patients trans, il est vital que les médecins généralistes puissent prendre le relai. N'oublions pas que les œstrogènes prescrits aux femmes trans sont les mêmes (ex. œstrogel, œstrodose) que ceux pris par les femmes ménopausées et prescrits en majorité par des généralistes.

 

Au-delà des refus de rendez-vous purs et simples, cette pénurie de médecins acceptant de prescrire un traitement hormonal substitutif (ths) induit un rapport totalement déséquilibré entre le/la médecin et le/la patient.e. Par exemple, nombre de praticien.ne.s prescrivent systématiquement de l'acétate de cyprotérone (ex. Androcure) à des femmes trans, y compris lorsque celles-ci n'en veulent pas, notamment si elles souhaitent conserver une certaine libido. Or, quand les patient.e.s expriment leur désaccord avec des traitements prescrits, certains médecins n'hésitent pas à répondre, comme nous l’a rapporté une adhérente : "si vous n'êtes pas content avec ce que je prescris, vous n'avez qu'à aller voir ailleurs !" On est très loin d'une relation saine et d'un consentement éclairé.

 

Il existe également des praticien.ne.s tout à fait respectueux.ses et à l'écoute des besoins spécifiques de chaque patient.e, quel qu’il ou elle soit. Malheureusement, ils et elles restent trop peu nombreux par rapport au nombre de personnes trans ayant besoin d'un ths.

 

Au delà des traitements hormonaux, quels sont les autres soins pour lesquels les personnes trans font face à des limitations dans l'accès à ces soins?

 

Dans les faits, l’accès aux soins est restreint par des violences médicales qui diffèrent selon les motifs de consultation et le type d'examen. Il y a, par exemple, extrêmement peu de personnes transmasculines, y compris parmi celles ayant des rapports sexuels avec des hommes cisgenres, qui effectuent de suivi gynécologique.

 

De plus, le simple fait pour une personne trans de se faire ausculter pour une toux chez un généraliste peut s'avérer très embarrassant dès lors qu'il faut se dévêtir et dévoiler un corps qui fait trop souvent l’objet de regards et de commentaires de la part des médecins. Même un rendez-vous chez un dentiste peut être compliqué dès lors que la personne n'a pas encore pu bénéficier du changement de numéro de sécurité sociale (après un changement d’état civil), ce qui lui vaudra d'être automatiquement identifiée comme personne trans, voire désigné.e par sa civilité administrative – et donc mégenrée – au téléphone ou dans la salle d'attente.

 

Auriez-vous des conseils simples à prodiguer aux soignant-es qui voudraient améliorer leurs pratiques ?

 

Nous avons rédigé un guide intitulé "L'accueil médical des personnes trans", qui s'adresse spécifiquement au personnel médico-social. Il est consultable sur notre site et commandable gratuitement en format papier. Nous proposons également une ‘charte de bonnes pratiques’ sur notre site, que tout médecin peut consulter, signer et transmettre à ses collègues.

 

Par ailleurs, nous proposons régulièrement des formations pour donner aux professionnels les clés pour offrir un accueil de meilleure qualité aux patients trans. Plusieurs autres associations membres de la Fédération Trans et Intersexe proposent ce type de formation. RITA, qui est une association trans grenobloise, propose, par ailleurs et conjointement avec le Planning Familial 38, une formation spécifiquement destinée aux médecins généralistes désirant prescrire des traitements hormonaux.

 

Nous vous recommandons vivement de consulter le site https://transidenticlic.com/ , rédigé par une médecin généraliste et destiné aux généralistes désireux.ses de suivre des patient.e.s trans.

 

Quelles sont les conséquences des violences subies par les personnes trans sur leur suivi ? A t on des données chiffrées sur ces points ?

 

Notre étude "Santé Trans 2011" avait permis de chiffrer à 16% le nombre de personnes qui s’étaient vu refuser un rendez-vous médical sans rapport avec leur transition. Les préjugés du personnel soignant avaient fait renoncer 35% des personnes à des soins. Trois personnes trans sur quatre (75%) avaient déjà été mal à l’aise avec un médecin pour une raison en rapport avec leur transidentité. Pour plus de la moitié des personnes (57%) cela provenait de l’attitude du médecin, et pour 21% de son mépris.

 

Les conséquences sont graves puisque de nombreux patients trans renoncent à des soins et à des examens, ce qui limite grandement le dépistage précoce de certaines pathologies. De plus, cela encourage le recours à des voies alternatives, telle la commande d'hormones sur Internet en l'absence de tout suivi médical avec les risques que cela comporte. Loin d'être un choix inconsidéré, les personnes qui y ont recours le font à contrecœur, après avoir cherché en vain des médecins acceptant de les suivre. En tant qu'association, nous sensibilisons les personnes trans aux risques inhérents à de telles pratiques.

 

Quelles mesures proposeriez vous pour améliorer la prise en soins des patient-es trans ?

 

Il faut sortir de cette hypocrisie consistant à nier que de trop nombreux médecins choisissent leur patientèle selon des critères éthiquement irrecevables. Soyons clair.e.s : refuser de recevoir un.e patient.e trans au motif qu’on ne s’estime pas compétent.e et sans vouloir prendre la peine de se renseigner pour mettre à jour sa pratique est un argument inentendable car c'est faire le choix de la laisser en détresse et/ou de lui offrir pour unique alternative de se procurer des hormones sur Internet sans aucun suivi médical.

 

Il faut que les médecins généralistes prennent ce sujet à bras le corps, qu'ils et elles acceptent non seulement de renouveler des ordonnances établies par des endocrinologues, mais également qu'ils et elles s'informent sur les différentes prescriptions qu’ils et elles sont abilité.e.s à faire. Au-delà des traitements hormonaux, il est important de proposer des consultations respectueuses des personnes quelle que soit leur apparence physique, de respecter leur genre indépendamment des informations données par la carte Vitale et de montrer qu'en tant que médecin vous n'êtes pas dans une posture de jugement, mais d'accueil de ce que votre patient.e a à vous dire concernant sa santé.

 

Auriez vous des ouvrages, podcasts, à conseiller aux soignant.es qui s’intéresseraient à ce sujet ?

 

 

-       Sur le plan culturel

 

 

 

o   « Les transidentités raccontées par les trans » (4 épisodes) – podcasts de France Culture.

 

o   Bornstein, Kate. Hello, monde cruel – 101 alternatives au suicide pour les ados, les freaks et autres rebelles, Au Diable Vauvert, La Laune, 2018.

 

o   Durand, Elodie. Transitions - Journal d’Anne Marbot, Delcourt, Paris, 2021.

 

 

 

-       Sur le plan médical

 

 

 

Nous vous conseillons d’informer vos patient.e.s trans de l’existence de l’application « TransMémo ». Gratuite et disponible sur Android, cette application permet de suivre son ths grâce à son Smartphone.

 

En anglais, nous vous recommandons les ouvrages suivants :

 

Aspects psychologiques

 

 

 

-          Sand C. Chang, Anneliese A. Singh et Lore m. dickey. A Clinician’s Guide to Gender-Affirming Care Working with Transgender and Gender Nonconforming Clients.

 

-          Aron Janssen et Scott Leibowitz. Affirmative Mental Health Care for Transgender and Gender Diverse Youth.

 

-          Sally Hines. TransForming Gender : Transgender Practices of Identity, Intimacy and Care.

 

 

 

Aspects somatiques

 

-          Randi Ettner, Stan Monstrey et Eli Coleman (eds.). Principles of Transgender Medicine and Surgery.

 

-          Rachel Ann Heath et Katie Wynne. A Guide to Transgender Health State-of-the-Art Information for Gender-Affirming People and Their Supporters.

 

-          Courtney Finlayson. Pubertal Suppression in Transgender Youth.

 

-          Leonid Poretsky et Wylie C. Hembree (eds.). Transgender Medicine : A Multidisciplinary Approach.

 

En Suisse francophone, cet excellent travail de recherche :

 

https://doc.rero.ch/record/328067/files/Travail_de_Bachelor_Carnal.J_Riedweg.G.pdf

 

 

Sérophobie : interview de Coco

Sérophobie : interview de Coco

 

Dans le cadre de notre mois sur les discriminations en santé, nous allons parler de la sérophobie, des discriminations envers les personnes séropositives au VIH. Pour cela, nous avons interviewé Coco, séropositive depuis plus de 30 ans, lesbienne, ancienne usagère de drogues, ancienne travailleuse du sexe, activiste et militante dans une association de lutte contre le SIDA.

 

La sérophobie est extrêmement fréquente dans la société et le milieu médical en particulier. Auriez-vous des chiffres sur les discriminations sérophobie à nous partager ? Les formes d’expression de la sérophobie ont-elles évoluées depuis les années 90 selon vous ? Comment la désinformation des nouvelles générations sur le Sida et sur l’histoire de cette épidémie joue-t-elle un rôle dans la perpétuation de préjugés sérophobes ?

       

Je ne suis pas axée sur les chiffres qui sont loin d'être exhaustifs mais la sérophobie peut être implicite ou explicite et il faut aller au plus près des personnes recueillir leur parole avec toute la difficulté que cela représente de parler de sa séropositivité. Ensuite, contrairement aux violences verbales et physiques LGBTIphobes, la sérophobie n’est pas punie par la loi et la sérophobie est une discrimination.

 

La sérophobie existe depuis le début des années 80 moi j’ai été contaminée en 1987 et j’ai connu la sérophobie violente, celle du rejet, celle où on pose des plateaux repas dans les chambres parterre devant la porte parce qu’on n’ose pas rentrer, celle où on ne te regarde pas, où on ne te touche pas parce que ton corps est amaigri envahi de kaposi, la sérophobie jusque dans la mort durant des décennies avec l’interdiction des soins funéraires, une lutte remportée il y a 5 ans après des années de combat de personnes séropositives et militants-es. Il y a eu cette sérophobie provoquée par la peur à l’époque où on ne savait pas comment cela se transmettait que je peux comprendre mais on l’a su dès 1984 que c’était transmissible par le sang et par le sperme. Les personnes gays et les toxicomanes qu’on oublie un peu ont été très touchées et les femmes quant à elles dès le début, elles ont été invisibilisées et les personnes racisées et les personnes trans n’en parlons pas.

C’est bien pour cela que la dimension communautaire de la lutte contre le sida est essentielle et incontournable. Mais aujourd’hui quand je vois que de nombreuses personnes pensent que le VIH s’attrape par la salive ou en se touchant, cela me désole au plus haut point et forcément cela questionne.

Il y a eu une période avec moins de sérophobie mais en même temps on mourrait et puis elle est revenue au milieu fin des années 90 au moment de l’arrivée des trithérapies, nous allions vivre un peu plus pour celles et ceux qui ont survécu jusque-là. Dans le milieu du soin, elle est malheureusement fréquente et une des plus répandues, c'est celle au niveau des dentistes. Il   faut savoir qu’à l'époque, beaucoup de personnes séropositives se sont vu arracher des dents alors qu'elles auraient pu les conserver et puis comme on pensait qu'on allait mourir on n’a pas réagi et quant aux refus de soins aujourd’hui de la part des dentistes, ils sont nombreux et surtout ils n'ont pas lieu d'être que l'on dise sa séropositivité aux médecins ou pas. Pour ma part je l’ai toujours dit dans toute situation vis-à-vis du personnel soignant, je vis avec et c'est le sens de tout mon combat. Il fait partie de moi, de ma vie je n'ai pas caché ma séropositivité même si ça a été extrêmement difficile. Le refus de soin de la part des dentistes peut être très explicite :"je ne prends pas des personnes comme vous" cash direct et elle peut être implicite avec des discours du style "je n'ai pas l'habitude des personnes comme vous, votre situation est complexe et je ne veux pas prendre le risque de vous soigner". La sérophobie existe aussi de la part des gynécologues avec des discriminations particulièrement violentes à vous dégoûter d'y retourner durant des décennies et puis le jugement de valeur, « personne ne t’a obligé à te droguer » vous avez des enfants non tant mieux etc.… en ce qui me concerne je resterais plus de 20 ans sans voir une gynécologue je n’y retourne que depuis mes 50 ans régulièrement et j’ai une gynécologue très bienveillante.  Il y a le recul d'un pas ou de 2 pas quand on dit à une autre personne qu'on est séropositif/ve comme si elle devait se protéger de nous. Et plus récemment j’ai connu la sérophobie 2.0 avec une réservation en ligne pour une imagerie médicale où il y avait marqué « si vous êtes porteur d’une maladie contagieuse (VIH, hépatite, gale) vous ne pouvez pas prendre rendez vous, vous devez appeler avant ». J’ai publié ceci sur les réseaux, Doctolib a fait enlever ce commentaire mais le centre d’imagerie continue de demander dans des questionnaires si les personnes ont le VIH, c’est inacceptable et quant au défenseur des droits que j’ai saisi avec toutes les captures d’écran du questionnaire en ligne disparu depuis, on me demande des nouvelles preuves car pour prouver la sérophobie, il faut prouver le refus de soins alors que dans ce cas c’est plutôt du renoncement aux soins pour ne pas subir la sérophobie. J’attends toujours et je suis très en colère de tout ça.

 

Aujourd’hui à mes yeux on banalise beaucoup trop le VIH, je comprends qu’il faille rassurer mais vivre avec le VIH n’est pas vivre comme tout le monde pour un grand nombre de personnes vivant avec le VIH, ce discours est arrivé avec la Prep un traitement en prévention pris par des personnes séronégatives et qui n’enlève rien à son efficacité et au fait qu’il contribue à réduire les contaminations bien évidemment. Néanmoins, il ne faut pas oublier que beaucoup de personnes vivent avec le VIH et ont de nombreux effets secondaires liés aux traitements, des pathologies et/ou des comorbidités associées et les PVVIH comme d’autres personnes malades chroniques nécessitent une prise en charge spécifique et notamment quand on vieillit avec. Il y a une génération, la première qui a tout bouffé comme traitement et qui en paye le prix fort aujourd'hui et puis la 2nde qui a connu le début des trithérapies avec le passage à un cachet rapidement et surtout des chances de vie beaucoup plus importantes que nous à l'époque. Les discriminations aujourd'hui en lien avec le VIH pour des personnes qui vivent et vieillissent avec le VIH sont nombreuses et le principal argument c'est de dire que nous sommes des cas trop complexes car nous avons le VIH mais avec des pathologies associées et de nombreuses comorbidités, c’est pourquoi il est important de ne pas toujours banaliser. Les refus de soin mais aussi les renoncements aux soins sont et restent très nombreux et c’est difficilement quantifiable et ces derniers ne sont pas toujours faute de moyens, ils sont dus aussi au fait de ne pas avoir à être confronté à la sérophobie. Récemment un médecin des urgences où je suis suivie m’a dit que j’étais trop complexe que les urgences c’était la bobologie j’avais attendu 3 h pour m’entendre dire cela et cela pose un problème. De plus, les refus de soins sont déjà nombreux sans la sérophobie par le fait de ne pas avoir de papiers et /ou de couverture médicale.

Quelles peuvent être les conséquences sur la santé des personnes séropositives entrainées par les discriminations qu'elles vivent ? Savez-vous dans quelle mesure cela peut entraîner un renoncement aux soins ? Des pertes de chances ?

Les conséquences d'un renoncement aux soins peuvent être très importantes et la crise sanitaire est un facteur aggravant, cela engendre un sentiment d’isolement et d’incompréhension, ce qui peut amener à du renoncement malheureusement.  Il y a d'énormes lacunes sur la prise en charge des malades chroniques notamment au niveau des urgences, c'est assez récurrent. Il faut savoir que beaucoup de personnes vivent et vieillissent avec le VIH et un grand nombre d’entre elles relèvent d'un suivi de médecine interne d'une surveillance continue et d'un bilan annuel de synthèse avec la recherche de complications qui se fait généralement sur une hospitalisation de jour. Ce sont des recommandations du Conseil national du sida qui aujourd'hui tendent à disparaître laissant les personnes séropositives livrées à elles-mêmes dans un contexte où l'hôpital public est particulièrement malmené, cela relève d'un parcours du/ de la combattant-e que de se soigner aujourd'hui. C'est là que la dimension patientE soignantE doit avoir tout son sens, elle s'est construite dans la lutte contre le sida au travers de la loi du 4 mars 2002 aboutissant au consentement éclairé et au droit à l'information sur son état de santé. De nombreux médecins et de nombreuses personnes malades ont découvert le VIH ensemble se sont battuEs ensemble, la notion du/ de la patientE expertE vient de là mais malheureusement aujourd'hui force est de constater que cette dimension se perd, on ne prend plus le temps si important à la construction de cette relation et tout cela à cause de la recherche de rentabilité imposée aux hôpitaux. On ne peut pas obliger un médecin, unE infectiologue à avoir 4 patientEs en 1h ce n'est pas possible mais c'est pourtant la réalité. Et renoncer aux soins en temps de COVID où il y a eu de nombreux reports de soins déjà, que ce soit faute de moyens, ou à cause des discriminations, cela affecte notre santé et notre prise en charge sans oublier aussi que le Covid avec la baisse de vigilance des gestes barrières entraine de nombreux renoncements aux soins aussi étant donné la fragilité de nombreuses personnes séropositives.

 

Qu'aimeriez-vous que le milieu médical change pour améliorer la prise en charge des personnes séropositives ?

Il faut surtout améliorer la prise en charge des personnes séropositives, il doit y avoir au sein des hôpitaux publics un service permanent qui permet une surveillance continue des personnes malades chroniques comme le VIH qu'elles soient curables ou non et également en médecine de ville pour ne pas être confronté à des personnes qui ne connaissent pas notre situation médicale.  Remettre aussi au centre de la relation médecin patientE la parole des personnes malades qui connaissent leur maladie et leurs effets et la modification que cela peut entraîner sur leur corps sur leur métabolisme. Il faut davantage les écouter. Il faut aussi des astreintes au niveau des urgences de médecins infectiologues et de médecins internistes. Il faut également sans passer par les applications numériques que les différents spécialistes qui suivent des personnes séropositives puissent davantage communiquer de manière régulière sur la situation de la personne malade en y incluant le ou la médecin traitant. On parle de coordination des soins mais en réalité elle n'existe pas ou plus ou elle est défaillante. En effet, ce sont bien souvent les malades qui la font et au bout d'un moment c'est épuisant de devoir toujours répéter les mêmes choses. Et pour ma part, je sais que les personnes malades chroniques ne rapportent pas d'argent à l'hôpital, c'est peut-être cruel à dire comme cela mais c'est une réalité, l’ambulatoire a pris le pas sur la médecine au long cours et cela affecte dans certains cas la qualité de la prise en charge qui s’en fait ressentir en tant de crise. Les médecins généralistes sont sur tous les fronts et une prise en charge médicale nécessite que l’on prenne le temps. J’ai la chance moi d’avoir 2 rendez-vous mensuels dans mon suivi et répartis depuis peu entre 2 médecins du cabinet qui me conviennent sensibiliséEs sur les questions lgbti et VIH.

 

Un exemple que je connais bien avec la fermeture du service de médecine interne de l'hôpital toulousain où je suis suivie depuis 32 ans au nom de considération économique, un service créé par des médecins partant de besoins de patientEs qui se sont battuEs pendant des années pour que ce service de pointe voit le jour et, où était inclus aussi le VIH. L'équipe a explosé entrainant ainsi la fermeture du service. Nous savons qu'il va réouvrir mais ce ne sera plus avec la même équipe médicale historique que l'ancienne direction a poussé à bout. Il faut améliorer aussi l'écoute de la douleur, on ne peut pas laisser une personne dans la douleur et là encore il y a des progrès à faire. Le corps médical est très bon sur les pathologies aigues mais sur les pathologies chroniques, nous ne pouvons que mieux faire. Il faut améliorer aussi la sécurité des patientEs VIH, chroniques en temps de COVID, le médecin se doit d’être irréprochable sur ce sujet et ce n’est pas toujours le cas. Le pass sanitaire est toujours exigé à l'hôpital mais de nombreux établissements ne le demandent plus mais la moindre des choses c’est de respecter le port du masque dans l’enceinte d’un hôpital personnel soignant et patients-es. Combien de médecins ne mettent pas leur masque correctement pour nous ausculter ? La dimension COVID doit être intégrée dans la prise en charge aujourd’hui, j’ai une santé fragile et je ne suis pas vaccinéEs et non pas parce que je ne le veux pas mais parce que parfois c'est bien plus complexe que cela au-delà de toute polémique dans laquelle je ne veux pas être.


Pourriez-vous nous parler des actions de votre association ? Quelles sont vos principales actions, comment luttez-vous ? Comment définiriez-vous vos principales luttes actuellement ?
Les associations de lutte contre le SIDA ont réussi à infléchir la place assignée au patient pour qu'il devienne acteur du soin et que le rapport de pouvoir soignant/patient soit repensé, comment poursuivez-vous aujourd'hui cette lutte pour combattre les discriminations sérophobes et plus particulièrement en milieu médical ?
 

Pour ma part, j'ai toujours lutté en tant que personne concernée et l’association m’a permis de ne plus me sentir seule à l’époque et mon combat fait sens pour moi et il est important de ne jamais oublier cette dimension-là « rien pour nous sans nous » les principes de Denver 1985. Nos luttes ce sont les droits sociaux, les droits de santé, l'accès aux soins pour toutes et tous, l’accès universel aux traitements, la levée des brevets, la prévention...

Le combat associatif a permis de gagner 10 ans sur l'arrivée des traitements, son combat contre les labos et son travail de collaboration et d’implication des personnes séropositives dans la recherche et les traitements la création de groupe comme le TRT 5 ou le Sidaction pour financer la recherche. La lutte contre les expulsions de personnes séropositives encore d’actualité, contre la pénalisation de l’usage des drogues, contre la pénalisation des clients, pour le droit des malades, contre toutes les discriminations et beaucoup en parleront mieux que moi....

 

Pour ma part, je lutte sur la question des droits sociaux et de santé, les droits fondamentaux depuis toujours en tant que personne séropositive lesbienne et ex-usagère de drogues et TDS et je me définis comme une activiste de la lutte contre le sida et travailleuse sociale communautaire lorsque j’étais salariée dans le secteur social où je ne me suis jamais cachée auprès des administrations, j’en suis fière même si cela ne m’a pas enrichi. La lutte contre le sida n’est pas que médicale, elle est aussi politique, sociale, antiraciste et elle lutte contre toutes les formes de discrimination quelle qu’elles soient.

 

Le visage des personnes séropositives est protéiforme ; une personne séropositive c'est une personne hétérosexuelle, une personne gay, une personne lesbienne, une personne bisexuelle, une personne  trans, une personne non binaire, une personne intersexe, une personne hémophile, une personne atteinte d’hépatite, une personne handicapée, une personne migrante, une personne réfugiée, une personne étrangère malade, une personne avec ou sans papiers, une personne racisée, une personne incarcérée, un enfant, une personne usagère de drogues, une personne travailleuse du sexe, une personne pauvre, une personne riche… . Et une personne séropositive peut se sentir appartenir à plusieurs communautés et donc ne sont pas que séropositives. La sérophobie et les discriminations vont bien au-delà du VIH, elles sont partout y compris au sein de nos communautés. Et pour ma part, l'indifférence envers les PVVIH et les personnes malades est pire que tout, un des slogans que je trouve bien par exemple « le sida on en meurt et l'indifférence demeure » ça veut tout dire et c'est tellement encore d'actualité avec le COVID.

 

La loi du 4 mars 2002 sur le droit des malades, des usagers-ères du système de soins a été portée par de nombreuses personnes séropositives et militantEs et est issue de la lutte contre le sida. On y retrouve l’accès à l'information concernant sa santé, concernant les soins qu'on va prodiguer et la notion du consentement éclairé. Cependant aujourd'hui, on fait signer un consentement un petit peu pour se dédouaner de toute responsabilité. Notamment à l'hôpital, on signe un consentement sans savoir réellement les risques que l'on encourt. Quant à l'explication, à l'information transmise à la personne malade elle n'est pas systématique. Je prends l'exemple de certains examens qui sont faits en hôpital de jour où les personnes malades n'ont absolument pas accès aux résultats de bilan parce qu'ils ne sont pas faits en externe. Cela pose un problème car le/la patientE doit y avoir accès comme tout autre document concernant sa prise en charge. Il manque aussi d'associations de lutte contre le sida dans la représentation au sein de la commission des usagers des hôpitaux publics, nous avons porté des choses mais nous ne sommes plus ou pas présentEs dans certains endroits qui prennent des décisions qui nous concernent. C'est aussi une question de temps et de moyens tant financiers qu’humains et les associations communautaires de lutte contre le sida en manquent cruellement.

 

Existe-t-il au sein des associations de lutte contre le sida des formations sur la sérophobie destinées aux soignant-es pour éliminer cet impact sur les soins ?

Par exemple chez Act Up Paris il y a reactup, une revue d’information sur les traitements et la recherche thérapeutique toujours d’actualité malgré la crise sanitaire. Il y a eu aussi la revue protocoles qui s’est arrêtée faute de moyens et il y a eu aussi des réunions publiques d’information sur des thématiques en lien avec le VIH sida et qui permettait d’avoir des intervenants issus du milieu associatif, médical, scientifique, social et militant. Elles ont cessé d’être financées également alors qu’elles avaient du sens et permettaient des rencontres et des échanges très intéressantes. Il y a toujours des interventions pour informer sur le VIH sida et notamment en milieu scolaire et mener des actions de prévention en milieu festif. Et pour ma part, il serait bien que les écoles de médecine puissent proposer à des personnes séropositives de venir si elles le souhaitent pour parler de leur parcours de patientEs expertEs, cette notion construite dans la relation médecin-malade mais dont on a été quelque part dépossédéE parce qu’aujourd'hui il faut faire une formation de l’ARS pour faire de l'éducation thérapeutique, pour parler en tant que personne concernée de sa propre pathologie et personnellement moi je m'y refuse. Je n'ai pas besoin d'une attestation ou d'un diplôme pour aller expliquer mon vivre avec la pathologie à d’autres personnes séropositives. Cette maladie je l’ai et je l’ai découverte avec mon médecin qui m'a suivi pendant 32 ans. Et cette relation patientE soignantE, cela doit être le pilier d'une prise en charge médicale.  Mais la dématérialisation a engendré de la déshumanisation et elle se développe de plus en plus et notamment au travers de la téléconsultation qui pour ma part en ce qui me concerne est difficile à comprendre. Comment peut-on soigner en vidéo ? Il faudra qu'on me l’explique, on dialogue oui mais soigner. Pour ma part, je crois que les futurs médecins au sein des écoles ont  tout intérêt à inviter des associations et surtout  à proposer à des personnes séropositives si elles le veulent de venir leur expliquer leur parcours, le soin c'est aussi l'humain et ce qui fait  une bonne relation patientE soignantE, c’est l'écoute l’empathie, une compréhension et un respect mutuel mais il est important de rappeler que les médecins ont un devoir d’humanité et certains ont des attitudes discriminantes.


En France la lutte contre le SIDA, comme d’autre luttes sont portées en majorité par des personnes blanches, pourriez-vous nous parler de la place des personnes racisées dans cette lutte ?

 

La  lutte contre le sida est anti raciste et pour moi lutter contre le sida c'est lutter contre toutes les formes de discrimination dont le racisme et je suis  une petite fille d'immigréEs kabyles, j’ai la peau blanche et je me sens privilégiée même si je n'aime pas ce terme mais je sais ô combien c'est important de pouvoir ne serait-ce qu’accéder à mes traitements tous les jours, être prise en charge à 100% dans le cadre de ma pathologie, ce qui n'est pas le cas de nombreuses personnes racisées sans papiers. Mon combat c’est avec et aux cotés des personnes concernées et les personnes racisées en font partie et il faut déconstruire cette pensée coloniale qui dit que la colonisation a eu du bon. Certainement pas ! Je suis pour l’autodétermination des peuples et des individus. La parole des personnes concernées doit compter à nouveau, on nous l’a trop souvent prise, recueillie et déformée alors nous nous la réapproprions. Depuis le début du milieu des années 90, nous ne cessons de le dire que nous devons être à nouveau dans les espaces qui prennent des décisions qui nous concernent. La démocratie sanitaire c’est aussi permettre à des associations communautaires de lutte contre le sida donc aux personnes concernées de contribuer à l’élaboration des politiques publiques.

 


Si vous deviez donnée 3 mesures que vous auriez aimé voir abordées pendant cette présidentielle quelles auraient-elles été ?

 

J'ai déjà un petit peu répondu à toutes ces questions, redonner la parole aux personnes concernées.

Défendre la notion de surveillance continue réelle à l'hôpital public pour l'ensemble des PVVIH avec la présence de médecins. Les malades chroniques ne devraient pas passer par les urgences classiques lorsqu'elles sont confrontées à des difficultés liées à leur pathologie. Mieux prendre en compte la question du vieillir avec le VIH, la lutte contre le sida n'est pas que médicale elle est aussi sociale, il ne faudrait pas l'oublier. Rappeler à ces politiques que la santé est un droit fondamental, l'accès aux soins pour toutes et tous avec ou sans papier, avec ou sans couverture médicale. Il faudrait aussi réduire l'augmentation significative ces dernières années des consultations privées à l'hôpital public, que cesse la privatisation catastrophique pour l'ensemble des personnes malades et demandeuses de soins. L'hôpital public doit soigner de manière égalitaire toutes et tous. Aujourd'hui les inégalités se creusent car si vous avez 100€ pour payer une consultation privée à l'hôpital public, vous obtenez un rendez-vous en 15 jours 3 semaines et vous pouvez attendre jusqu'à 6 mois si c'est une consultation publique. Si ça ce n’est pas une médecine à 2 vitesses, je ne sais pas ce que c’est. Il faudrait aussi commencer par changer l'adresse de certains hôpitaux concernant la réclamation de certaines personnes malades, lorsqu'on est confronté à des adresses qui s'appellent clientèle@chu, on comprend vite que la santé est devenue un business. L'hôpital public n'est pas un lieu de rentabilité au même titre que la solidarité nationale. C'est l'état qui doit dépenser de l'argent pour l'ensemble des citoyens et des citoyennes pour un accès aux soins pour toutes et tous sans conditions ni contrôles puisque la carte d’identité est de plus en plus demandée. Je souhaiterais également que l'on accorde l'allocation adulte handicapé à vie à toutes les personnes atteintes du VIH et de manière individualisée indépendamment de leurs conjointEs, un combat porté par de nombreuses personnes séropositives et que des associations mènent depuis de très nombreuses années. Je souhaite également à ce que toutes les personnes séropositives ou atteintes d'autres pathologies soient libérées, sans aucune condition.  La place des personnes malades n'est pas en prison ni en centre de rétention. Et nous sommes très loin de la qualité des soins équivalente pour les personnes incarcérées à celle prodiguée dans la population générale contrairement à ce que dit la loi du 18 janvier 1994, ainsi que le droit de vivre et de mourir dans la dignité. Il me semble important aussi de dire qu’avec la crise sanitaire, la prescription des masques ffp2 doit être effective pour toutes les personnes en ald sans aucune restriction, comme c’est le cas actuellement puisqu’un des critères est l’échec de la vaccination. Ce qui a été annoncé comme une bonne nouvelle n’en est en réalité pas une. Je souhaite également que le ministère de la santé redevienne le seul décideur des demandes de séjour pour soins et que le ministère de l’intérieur cesse de s’immiscer dans toutes les questions sociales, sanitaires et médicosociales comme c’est le cas depuis de trop nombreuses années. Je souhaite également une complémentaire solidaire pour toutes les personnes bénéficiaires de l’AAH sans participation financière comme c’était le cas avant.

Et surtout je souhaite la fin de cet état d’urgence, cet état d’exception où tous les pouvoirs sont concentrés entre le chef de l’état et le ministre de l’Intérieur, un état qui entrave et nous prive de nos droits les plus fondamentaux au nom de la protection de toutes et tous, j’y vois moi plutôt de la surveillance et du contrôle. Et plus que tout je ne veux pas que Marine Le Pen arrive au pouvoir je n’oublierai jamais les « sidaïques », les sidatorium de son père et Le Pen au pouvoir représente un danger et un avenir des plus sombres dans lequel je ne veux pas me projeter

Coco

 

Psychophobie : interview de Scott

Psychophobie : interview de Scott

 

Dans le cadre de notre mois de discriminations en santé, nous allons parler de la psychophobie. Pour cela, nous avons interviewé Scott, un militant trans, handi/fol, et dans le mouvement antipsychiatrie.

 

Comment définirais-tu le mouvement antipsy ? Comment et pourquoi est-il né ? Quelles sont les revendications ?

 

Selon moi, le mouvement de l’antipsychiatrie se divise en deux axes.

Historiquement, la lutte « antipsychiatrique » désigne de base la contestation du système psychiatrique par son personnel, notamment les psychiatres du mouvement désalienniste (mouvement français des années soixante). Aujourd’hui il est utilisé majoritairement pour mettre en lumière les revendications des usager-es de la psychiatrie et de ses survivant-es.

                Pour expliquer comment ce mouvement est né, il faut revenir environ aux années soixante. C’est à cette époque que les premières revendications du personnel psychiatrique ont commencé à émerger, en tout cas dans les sphères anglophones et francophones. Le mouvement des patient-es est plus arrivé dans les années soixante-dix, comme une bonne partie du mouvement anticarcéral (les deux sont souvent mis en parallèle). A cette époque le milieu psychiatrique était encore moins contrôlé qu'à l’heure actuelle (dans le sens « contrôlé/vérifié par des lois, dans le respect de la dignité humaine »). Les abus, comme maintenant à vrai dire, étaient extrêmement fréquents. La violence adressée aux patient-es n’était pas discutée ni remise en question, étant donné que la plupart étaient interné-es de force et que pour la société c’étaient des parias car « malades mentaux ».

Du côté des patient-es, les revendications sont apparues en réponse aux violences commises par le personnel. Le droit à la liberté, au choix pour le soin, et surtout l’arrêt des violences était mis en avant.

Les revendications côté personnel psychiatrique sont variées dans le sens qu’elles viennent de différents courants de pensée. Je pense notamment à E. Fuller Torrey, psychiatre spécialisé dans la schizophrénie, auteur de The Death of Psychiatry (1974). Selon lui, sa discipline était entrain de mourir et que c’était la seule solution pour qu’elle évolue. Il était aussi persuadé que la maladie mentale était quelque chose d’origine physique (alors que les revendications côté survivant-es et usager-es de la psychiatrie sont plus à dire que c’est une catégorisation sociale). Je pense aussi à Thomas Szasz, psychiatre très connu qui est considéré comme une figure de proue de l’antipsychiatrie professionnelle, qui a participé à l’élaboration de l’antipsychiatrie chez les scientologues, et qui avait des positions très libérales sur la psychiatrie, il parlait notamment de la maladie mentale comme étant une condition individuelle.

 

Personnellement quand j’explique l’histoire de l’antipsychiatrie, j’aime apporter le point de vue du personnel, pas forcément pour l’encenser, mais surtout pour comparer et montrer que les revendications sont souvent à mille lieues de ce que les usager-es et les survivant-es veulent.

 

J’ajoute aussi que différentes positions sont présentes chez ces derniers, certain-es étant réformistes, d’autres abolitionnistes sur la question des institutions psychiatriques. Le but est quand même commun : créer des structures nouvelles pour palier à la psychiatrie et faire ce qu’elle ne fait pas : soigner. Après, la composition de ces nouvelles structures diffère encore selon les points de vue (est-ce que ça doit être géré uniquement par les patient-es ? doit-on intégrer dans ces nouveaux endroits des membres du personnel psychiatrique ou médical ?)

Je reviens sur le fait que j’ai dit que la psychiatrie ne soignait pas, déclaration qui peut faire lever des sourcils. En effet, un bon nombre de survivant-es de la psychiatrie et même certain-es membres du personnel psychiatrique considèrent que la psychiatrie n’est pas du soin, mais du contrôle social. Je développe un peu ce point de vue plus tard dans une autre réponse.

 

Tu parles plus haut de la scientologie. La scientologie etant une secte, nous avons été surpris de la voir mentionnée ici. Peux tu nous en dire plus sur la place de la scientologie et les différents courants dans l'antipsychiatrie? Quelle est la place de la scientologie dans tout cela ?

 

Je n'ai pas beaucoup d'informations, mais je pense que ça peut être utile de faire un rappel sur la Scientologie et sur comment elle est considérée (tantôt comme une secte, tantôt comme une religion etc), et par extension sur le libertarianisme et la pensée libérale (philosophique et économique). Tout ça est parfois mentionné lorsqu'on aborde l'antipsychiatrie, surtout côté anglophone, il me semble.

 

Pour la Scientologie, c'est une secte américaine fondée en 1953 par un auteur de science-fiction, basée sur une pseudo-science de son invention, la dianétique. Pour lui c'est une technique de développement personnel. Il vend son premier livre sur ce sujet en 1950, il s'intitule "Dianétique : la Science moderne de la Santé mentale".

On retrouve là un concept très ancré dans la psychiatrie et la société : la santé mentale et son approche par les pseudo-sciences. C'est quelque chose d'arbitraire, défini par des valides et des saints d'esprit, et concrètement un peu une obsession pour les libéraux, mais toujours en opposition avec les besoins des fols. Je pense notamment à l'aide psychologique proposé par Emmanuel Macron, dont, au final, peu de personnes folles pourront bénéficier, car il ne faut pas être trop fou, trop malade mental, pour y avoir droit. C'est clairement un moyen de maintenir les gens dans une bonne "santé mentale" pour qu'ils soient productifs au travail, et donc dans la société capitaliste. C'est d'ailleurs une dichotomie souvent remarquée lorsqu'on essaie de depsychiatriser une catégorie de personnes au détriment d'une autre, faire comme si le malade mental était trop dur à soigner, trop improductif, et surtout, punissable pour sa maladie.

L'obsession des libéraux pour la bonne "santé mentale" trouve aussi contentement dans les techniques de développement personnel, ou le fait de rendre son travail plus "sain" en ajoutant un chat dans les bureaux, ou en faisant des réunions professionnelles en plein footing, et sans adresser de critiques dans la manière dont sont traité-es les travailleur-euses.

 

C'est donc un refus de voir que le problème est systémique, se trouve dans les institutions du système, et une pensée libérale dans le sens où tout problème provient de l'individu. Par exemple, la maladie mentale, la folie, n'est qu'une question individuelle, et non pas un problème avec l'institution psychiatrique et le refus de voir les fols autrement qu'enfermés entre 4 murs, ostracisé'es.

 

Plus que libérale, c'est même le principe de la pensée libertarienne, à laquelle Thomas Szasz appartenait.

Les libertariens prônent la liberté individuelle pour tous, tant bien la liberté du corps (qui est un principe évoqué par l'antipsychiatrie), que la liberté économique (droit de propriété etc). (C'est d'ailleurs pour ça que techniquement le libertarianisme est considéré comme étant à la fois de gauche et de droite, en oubliant que c'est une idéologie qui baigne dans le capitalisme tout de même).

 

Le problème avec l'association de l'antipsychiatrie et de cette doctrine est que les libertariens pensent que tout se régule par le marché économique, et que donc ils ne donnent pas d'alternatives à la psychiatrie.

 

Concernant la création par Thomas Szasz en collaboration avec l'église de Scientologie d'une organisation antipsychiatrique, même s'il ne se revendiquait pas scientologue et n'adhérait pas selon ses dires à leur idéologie, il est quand même important de rappeler que la scientologie est une secte. Cette dernière se faisant passer pour du développement personnel (ce qui n'est pas étonnant, car il y a eu d'autres cas de sectes utilisant ce vernis-là) il est très facile d'appâter des adeptes. Aussi, la CCDH, Commission des Citoyens pour les Droits de l'Homme, l'organisation fondée par Szasz et l'église de Scientologie, recrute souvent des adeptes sans mentionner qu'ils sont un organe de cette dernière, c'est donc une forme d'endoctrinement. C'est peut-être plus difficile de le cacher maintenant à des personnes ayant accès à Internet, et je pense que légalement parlant, ils sont obligés d'afficher maintenant sur leur site leur appartenance à la Scientologie. Puis, comme cette dernière est basée sur une pseudo-science et se veut rattacher à la psychologie, la santé mentale etc, pour moi, elle est bien plus proche d'une psychiatrie dite réformiste, plutôt que d'une position efficace et radicale contre cette institution maltraitance et privative de droits.

 

Je pense que pour conclure, il faut se rappeler que les préoccupations du personnel psychiatrique et celles des usager'es et des survivant'es de la psychiatrie sont fondamentalement différentes, les premières étant plus axées sur une démarche libérale, peu efficace, réformiste, qui consiste surtout à, disons, repeindre la surface des murs des hôpitaux psy en rose, plutôt que de faire du réel changement, et qui est parfois de mauvaise foi (la fameuse disparition de la violence envers les usager'es s'il y'avait plus de moyens). Les revendications des usager'es et survivant'es de la psychiatrie sont nées quant à elle de la nécessité de la reconnaissance des droits des psychiatrisé'es, et des fols en général.

 

On peut se demander dans quelle logique pro-droits des patient'es, il serait bien vu de fonder une organisation avec une secte basée sur un développement personnel et sur de la pseudo-science, et dans quelle mesure on peut accepter que cette organisation soit une sorte de vitrine de l'antipsychiatrie libérale, en prenant en compte que cela vient d'une secte, et que cette dernière ne précise pas toujours qu'elle est derrière tout ça. Je me demande aussi si leur positionnement antipsychiatrie ne viendrait pas du fait que leur doctrine se soit vue qualifiée de pseudo-science à la suite d'une enquête scientifique demandée par l'Association américaine de psychiatrie.

 

Comment est organisé le mouvement de l’antipsychiatrie aujourd’hui ?

 

On ne va pas se mentir, pendant ces dernières années, en tout cas en France, le mouvement s’est extrêmement essoufflé. Il est un peu réapparu, notamment grâce aux réseaux sociaux et à la libération de la parole qui peut s’y trouver. Beaucoup de vieilles organisations ont disparu ou muté (par exemple le GIA (Groupe information asiles, fondé en 1972 en France (1974 en Belgique) sur le modèle du GIP (Groupe information prisons), qui du coup a subi une scission, créant ainsi un autre groupe, le CRPA (Cercle de réflexion et de proposition d’actions sur la psychiatrie). 

Cependant, plusieurs initiatives ont vu le jour dans les années 2000 et 2010, comme le projet Icarus (Icarusproject), lancé aux Etats-Unis en 2002. (Liens à la fin des réponses, le site en français)

Je sais qu’il y’a aussi des projets que beaucoup de gens aimeraient mettre en place, mais le contexte français sur la psychiatrie rend très compliqué tous ces mouvements. En France, la plupart des gens ne sont pas au courant de ce qu’il se passe dans les institutions psychiatriques et médico-sociales, ou mêmes certaines personnes le savent et sont persuadées que c’est mérité, ou que c’est le seul moyen pour gérer les « fous ». C’est peu possible d’avoir des réflexions et des discussions quand on est confronté-es à énormément de psychophobie/de sanisme dans la vie de tous les jours. Les gens traitent de « fous », de « malades mentaux », tous les gens dangereux (exemples : les dirigeants qui font des actes horribles (Trump, Poutine…)), les gens « déviants » (juste faisant parti d’une contreculture par exemple, ou alors les personnes LGBTIA+ (qui, en France, ont longtemps été criminalisées et psychiatrisées en fonction de leur orientation sexuelle et/ou de leur identité de genre (et le sont encore pour certaines)), ou encore les personnes ne se comportant pas de la manière dont on le souhaite (rien que le fait que les féministes soient traitées « d’hystériques », diagnostic inventé pour faire taire les femmes qui s’exprimaient trop selon les représentants du patriarcat). La psychophobie/le sanisme sont énormément ancrés dans le langage et la culture occidentale actuelle.

Sur un autre sujet, il y’a plusieurs associations (de concerné-es) qui, l’année dernière en 2021, ont dénoncé ce qu’il se passe dans les institutions (hôpitaux psychiatriques, mais aussi les lieux gérés par des associations gestionnaires comme des ESAT ou des IME) ce qu’on pourrait rapprocher des mouvements antipsychiatriques, même si c’est juste dans le mouvement antivalidiste en général.

 

Sous quelles formes peut se manifester la psychophobie dans le milieu médical ? Quelles en sont les conséquences ?

 

Je pense que pour répondre à ces questions il faut d’abord expliquer que le milieu médical est un endroit rempli de discriminations et pas que centrées sur les handicapé-es et/ou les fols. Il y’a par exemple beaucoup de cas de refus de soins sur des personnes racisé-es (non blanches) car elles exagéreraient leurs symptômes, ce cas raciste se nommant le "syndrome méditerranéen". Le fait que ce dernier ne soit pas étudié mais simplement une idée qui se transmet entre individus exerçant dans la médecine est un très bon exemple des biais que peuvent avoir le personnel médical et psychiatrique, et aussi de pourquoi les diagnostics en sont remplis. Aussi, beaucoup de femmes et de minorités de genre ont du mal à se faire diagnostiquer, par exemple autiste, les psychiatres préférant se référer à des diagnostics de troubles de la personnalité (TP) (TPB (trouble de la personnalité borderline), TPH (trouble de la personnalité histrionique)…). Dans les refus de soins, il y’a aussi beaucoup de comportements LGBTIAphobes en général, de la sérophobie etc.

 

                La psychophobie du monde médical est donc à rajouter dans ce mélange, sans oublier le validisme (dont la psychophobie fait partie), car beaucoup de professionnel-les de la santé ne se renseignent pas ou peu sur les disciplines qui ne les concernent pas. Pour beaucoup de gens, dont le personnel médical ou psychiatrique, le handicap n’est vu que par le prisme de la médecine (donc comme étant une anormalité, un manque, une différence) alors que pour aider les personnes handicapé-es, il vaut mieux se référer au modèle social du handicap, c’est-à-dire ne pas voir le handicap comme n’étant qu’une anormalité physique ou mentale, mais aussi comme une difficulté liée à l’inaccessibilité que les valides ont construite et maintiennent souvent sciemment. 

 

                La maladie mentale a été longtemps écartée du milieu du handicap et même des luttes, les fols étant juste considéré-es comme des indésirables à cacher. C’est d’ailleurs quelque chose d’assez récurent, quand une catégorie de personnes est dépsychiatrisée, ou en cours de dépsychiatrisation, de s’éloigner des fols avec des phrases instaurant ou solidifiant un rapport de force entre fols et sain-es d’esprits. C’est le fameux moment où par exemple une personne trans va se voir traiter de malade mentale, et justifiera le fait que son interlocuteurice lui doive le respect par « non, mais je suis pas malade mental moi, la transidentité n’est pas une maladie mentale, les trans ne sont pas fous ». Je comprends bien évidemment qu’on ne veuille pas être rabaissé-e, mais ce n’est pas une raison pour jeter les autres sous le bus, surtout les personnes trans qui sont effectivement folles. 

 

                Pour changer de sujet, je souhaite parler d’un autre rapport de force, celui entre les professionnel-les de la santé et les patient-es. Cela vaut à la fois pour le milieu médical et le milieu psychiatrique.

                Beaucoup de professionnel-les de la santé pensent avoir la science infuse de par leurs nombreuses années d’études, mais comme je l’ai dit plus tôt, nombreux sont celleux à ne connaître en réalité que leur discipline (et encore, ils ont souvent des informations erronées quand ils ne se renseignent pas, sans compter les biais racistes, sexistes, LGBTIAphobes, classistes etc). Un certain nombre de médecins et de psychiatres n’aiment pas voir que leurs patient-es s’y connaissent autant si ce n’est plus qu’elleux sur leur condition. Cela peut entraîner une prise en charge extrêmement validiste, et aussi psychophobe/saniste, notamment lorsque nous demandons une adaptation, une aide à la mobilité, un traitement médicamenteux, une prise en charge par un spécialiste, ou que l’on souhaite passer des tests pour un diagnostic.

                Certain-es sont persuadé-es que la solution face au handicap et donc à la folie  est l’éradication ou le contrôle, ce qui est eugéniste. Les handicapé-es sont souvent confronté-es à ce genre de comportements et ce même de la part de leurs médecins généralistes ou spécialistes. Il y a aussi beaucoup de biais de croyances sur les maladies et troubles, et peu de remises en question vis-à-vis des critères de diagnostic, qui diffèrent d’une classification à l’autre. Quelqu’un peut par exemple être considéré comme SEDiste (donc ayant un Syndrome d’Ehlers-Danlos) dans une classification, mais pas dans une autre, ou encore avoir droit à un diagnostic peu fiable et surtout donné pour éviter de diagnostiquer différents troubles qui seraient considérés comme « stigmatisants » car associés au handicap et à l’image que la société validiste en a fait. Je pense au diagnostic HPI (haut potentiel intellectuel), très peu diagnostiqué hors de France, et souvent donné à des personnes qui se révèlent plus tard être autistes et/ou ayant un TDA/H (trouble de l’attention avec/sans hyperactivité).

                La psychophobie, aussi nommée « sanisme » (donc le fait de vouloir rendre les fols « sain-es d’esprit » par tous les moyens), passe comme le validisme tout court, par le recours aux institutions, entre autres : les hôpitaux psychiatriques (HP), les hôpitaux de jour (HDJ), les centres médico-psychologiques (CMP), les établissements ou services d’aide par le travail (ESAT), les instituts médico-éducatifs (IME) etc. Le fait étant qu’enfermé-es et/ou contrôlé-es, les handicapé-es, qu’iels soient fols ou non, ne pourront que peu témoigner des violences qu’iels vivent au quotidien, et devront dans la majeure partie des cas le faire de façon anonyme.

                A l’intérieur de ces institutions, beaucoup de patient-es ne sont pas du tout respecté-es, par exemple au niveau de leur consentement, on les oblige à prendre des médicaments, on les surveille en permanence, on remarque chaque comportement (physique, verbal, esthétique, hygiénique, alimentaire…) et on note ceux qui ne sont pas « normaux », on punit si les patient-es ne veulent pas se soumettre (on peut penser aux chambres d’isolement et à la contention physique ou chimique dans les HP par exemple). La psychophobie, le sanisme, c’est aussi donc faire en sorte que les fols (libres ou psychiatrisé-es/institutionnalisé-es) ne paraissent pas fols, et obéissent à chaque injonction donnée par la psychiatrie (et plus largement par la société). On le voit notamment dans beaucoup de témoignages écrits, comme dans le livre On Our Own (1978) de Judi Chamberlin. Elle raconte son parcours en tant que femme psychiatrisée depuis les années soixante, et avance notamment que la maladie mentale n’est pas une condition médicale mais un jugement social. Ce livre est un des livres les plus connus du mouvement de « psychiatric survivors » (« survivants de la psychiatrie »). C’est notamment Judi Chamberlin qui a inventé la notion de psychophobie/sanisme, sous le terme « mentalism » (rien à voir avec les mentalistes, juste qu’en anglais « mental » est un adjectif se référant à la psychiatrie (« mental patient », « mental hospital ») on pourrait traduire « mental patient » par « psychiatrisé-e » du coup).

 

                Les conséquences de la psychophobie/du sanisme, et plus largement du validisme (et même des autres oppressions citées précédemment), sont tout d’abord le refus de soigner de la part du corps médical (exit donc la psychiatrie car son rôle n’est pas de soigner mais de contrôler), et si soin il y’a, le risque de mal soigner est présent aussi. D’autre part, le sanisme/la psychophobie induit que les fols ne savent pas ce qu’iels veulent, ou ce qui est bon pour elleux. C’est dans ces cas-là qu’on va retrouver le bafouement du consentement des patient-es, par exemple avec la prise de médicaments. Ajoutons à ça que beaucoup de médecins refusent le savoir de leurs patient-es sur leurs propres troubles et maladies, choses qui s’appliquent à tous les handicapé-es et/ou malades chroniques. D’autres médecins auront vite fait d’utiliser leur pouvoir pour montrer qui a la supériorité dans l’échange. Tu peux très bien avoir ton propre avis, une connaissance accrue sur tes troubles, et ne pas vouloir certains traitements, si tu es en position de faiblesse dans le rapport de force ça ne comptera pas. Les psychiatres particulièrement créent eux-mêmes certains symptômes de leurs patient-es, que ce soit par le refus du consentement, en poussant à bout la personne (si elle s’énerve = c’est de sa faute, c’est une personne dangereuse, elle est à punir), par les traitements médicamenteux aussi, ou en créant des crises (paranoïa, crises autistiques etc). De cette manière-là, ils considèrent qu’ils ont raison de se conduire comme ils le font et d’employer la violence.

 

Comment les soignant-es pourraient améliorer leurs pratiques pour rendre les soins plus safe pour les concerné-es ? Pour toi, est-il possible de rendre les soins psy entièrement safe, et si oui, de quelles façons ? Quelles sont les mesures qui pourraient permettre d’améliorer la prise en charge des patient-es, et notamment dans la formation des futur-es soignant-es ?

 

De mon point de vue, c’est impossible de rendre ces soins safe sans abolir le système psychiatrique. Tout d’abord car comme je l’ai dit la psychiatrie (malgré le bon vouloir de certain-es dans son personnel, j’en suis sûr) n’a pas comme but de soigner mais d’établir un contrôle social. Et ensuite, car on le voit assez régulièrement, et pas que dans ce domaine, les réformes, aussi progressistes qu’elles soient, ne sont jamais là pour changer un système dont la base est l’oppression, sans compter que ces réformes sont toutes faites par des politicien-nes sans même l’aval du personnel, et encore moins celui des personnes que ça concerne le plus (psychiatrisé-es, mais aussi patient-es en psychiatrie libérale, en médecine, même encore : les prisonniers et toutes les personnes étant dans des lieux d’enfermement). Aussi, la psychiatrie est un domaine lucratif, que ce soit pour certains membres du personnel, mais surtout pour les dirigeant-es des associations gestionnaires qui s’occupent des endroits (cliniques, IME, HDJ…). Dans l’intérêt surtout de ces dirigean-es puis des membres du personnel psychiatrique qui commencent à y trouver une (très bonne) source de revenus, il n’est pas envisageable pour eux de faire en sorte que les patient-es aillent mieux (que ce soit par des réformes ou par l’abolition de la psychiatrie), car un patient qui va mieux, c’est un client en moins pour eux.

N’oublions pas que c’est aussi un domaine sur lequel il est fréquent que les politicien-nes fassent des économies. Déjà du côté de l’hôpital public que les derniers gouvernements se sont bien amusés à saccager, mais aussi par rapport à comment sont montrées les institutions et comment elles sont mises en avant. Les IME par exemple sont montrés comme la solution contre l’exclusion à l’école des enfants handicapés, mais déjà il n’y a que peu de places, puis la logique des politicien-nes, qui dans ce cas là travaillent main dans la main avec les associations gestionnaires, n’est pas très évoluée, dans le sens que l’exclusion dans ce cas n’est pas faite par un manque de formation du personnel pédagogique dans le milieu scolaire ordinaire, mais par le fait de séparer les enfants handicapés des enfants valides. Je m’égare, mais c’est important pour moi d’en parler.

 

                Je rajoute aussi qu’il est plus facile de rentrer dans une institution que d’en sortir, que ce soit dans un HP, un IME, ou dans des structures comme les foyers protégés.

                En dehors de mon avis sur les réformes et l’abolition de la psychiatrie, qui est un projet à moyen terme (même si on aimerait bien que ça se fasse vite), je pense qu’il est possible d’améliorer un minimum les soins. Notamment, en arrêtant de penser que mettre « thérapeutique » après chaque nom d’activités en fait de la médecine ou même quelque chose d’utile pour les patient-es. Des HDJ ou des HP par exemple adorent parler de « repas thérapeutique », de « sortie thérapeutique » etc sans vraiment s’occuper des patient-es (c’est pratique de dire aux gens de se concentrer sur une activité, toujours la même, en la qualifiant de thérapeutique, ça n’oblige pas à se creuser la tête pour trouver quoi faire ou même s’entêter à connaître les désirs et les passions des gens dont on s’occupe).

                Pour améliorer les soins en institutions, il faudrait faire en sorte d’inclure les patient-es dans les décisions (quelles activités, quels sujets à faire ou aborder lors des groupes de parole ? quel film aller voir lors de la sortie ciné ? quel endroit visiter ? quel but à atteindre lors de l’activité artistique, sportive « thérapeutique » ?). Ne plus donc décider seulement entre membres de l’équipe professionnelle.

                Individuellement, je pense que les soignant-es peuvent faire changer (un peu) les choses en admettant ne pas tout savoir (et que même parfois iels en savent moins que certain-es patient-es car iels ne sont pas assez formé-es, ou de manière erronée, sur un ou des sujets). Se renseigner régulièrement, par le biais d’associations (de patient-es, donc par et pour le public ciblé) et par le biais de quelques sources professionnelles, peut aussi aider à mieux aborder les différents profils qu’iels vont rencontrer. Je rajoute qu’il est pour moi aussi primordial d’acquérir des connaissances peut-être sociologiques, mais en tout cas sur comment désamorcer les biais construits par la société ou le milieu dans lequel nous évoluons. C’est aussi un moyen d’affirmer ne pas tout savoir, et que les autres personnes ne faisant pas partie du système médical ou psychiatrique ont aussi des choses à apporter qui ne seront pas forcément dans les manuels ou les cours qu’ils ont eu y’a 5, 10, 30 ans.

En dernier, lire de la littérature produite par des survivant-es de la psychiatrie sur le sujet, ou aussi globalement du contenu créé par des personnes handicapées et/ou malades chroniques peut sincèrement aider à mieux comprendre les positionnements sur les institutions et sur le système, ainsi que les craintes qui habitent les malades, les psychiatrisé-es etc, notamment lorsque nous nous retrouvons face à un médecin ou un-e infirmier-e ou un-e psychiatre que nous n’avons jamais vu. C’est important pour comprendre comment fonctionne la psychiatrie et comment elle impacte les gens qui la subissent. 

Je pense que ces conseils sont applicables au personnel psychiatrique, tout comme aux médecins, aux infirmiers en institution ou dans le domaine libéral.

 

 

 

Aurais-tu des ouvrages, des vidéos, des témoignages… à conseiller aux soignant-es qui s’intéressent à ce sujet ?

J’ai créé un Google Drive (lien à la fin des réponses) regroupant majoritairement des PDF de textes, brochures, zine, en français et en anglais, et même un scan du livre On Our Own (1978) de Judi Chamberlin en coréen. Il y’a un document sur la traduction de ce dernier livre en français, traduction faite par un-e ami-e en bénévole. Sur le drive, il y’a aussi un document participatif avec quelques liens (sites, vidéos YouTube…) pouvant être utiles.

                Le site zinzinzine.net recense énormément de ressources sur la folie et la psychiatrie, c’est une véritable mine d’or. Sur ce site il y’a le lien d’une dropbox avec énormément de contenu dans plusieurs langues.

 

                Je pense aussi au zine qu’a fait l’artiste Freaks, nommé « Inadapté’e’s – Une folle histoire de l’antipsychiatrie » (lien à la fin des questions), qui revient de manière très condensée sur donc l’histoire de l’antipsychiatrie, et donne des liens de comptes à suivre sur les réseaux sociaux et de sites etc.

                Je nommerai le compte Twitter @MadFreaksPride qui est très intéressant et qui je pense est d’utilité publique concernant cette question.

                Je voudrais aussi mentionner le documentaire Netflix Crip Camp (en français, son sous-titre est La révolution des éclopés). C’est un documentaire très bien et intéressant sur comment se sont formées les luttes handicapées dans les années soixante-dix.

                

 

LIENS UTILES

 

Le Projet Icarus :

-          https://icarus.poivron.org/projet-icarus/ Site français

Zinzinzine :

-          https://www.zinzinzine.net/

Le zine de Freaks : Inadapté’e’s – Une folle histoire de l’antipsychiatrie :

-          https://www.freaks-illustrations.fr/inadapt%C3%A9-e-s-une-folle-histoire

Lien vers Crip Camp sur YouTube :

-          https://www.youtube.com/watch?v=OFS8SpwioZ4

Mad Drive :

-          https://drive.google.com/drive/u/4/folders/122cDsDgZj3qkyakmxfkl6oKI6of-jWuv

 

 

Communiqué de presse : Non à l'extrême droite, pas de compromis avec le fascisme !

Communiqué de presse : Non à l'extrême droite, pas de compromis avec le fascisme !

 

Nous rappelons notre opposition forte et ferme face à l'extrême droite.

On ne transige pas avec le fascisme.

On ne parle pas avec les fascistes.

On ne vote pas pour des fascistes.

 

Les valeurs fondatrices du soin, de l'éthique médicale et de la pratique médicale sont incompatibles avec l'extrême droite dans leurs principes d'universalité et de lutte contre les inégalités en santé. Le fascisme, le racisme n'ont pas leur place dans la santé. Nous appelons les professionnels de santé à considérer les programmes proposés au-delà des propositions qui sont faites pour leurs seuls corps de métier, et de prendre en compte les projets dans leur globalité : la santé ne se limite pas à la consultation médicale et les conséquences d'une élection d'une fasciste a la tête de l'État aurait des conséquences catastrophiques pour la sécurité physique et morale d'une part de la population largement pointée du doigt par le RN.

 

Le fascisme tue au sens propre. La lutte contre l'exclusion d'autrui est une nécessité de chaque époque, ainsi nous rappelons qu'il est du ressort de chacun, à sa manière, de participer au maintien des droits fondamentaux de soi-même et des autres.

Nous n'envisageons pas de discuter dans le détail les aspects du programme d'une candidate fasciste qui pourraient relever de notre compétence : nous considérons que les propositions faites n'entrent pas dans le champ des idées qui se débattent. Les prémisses qu'il faudrait accepter pour négocier la validité des mesures nous semblent inacceptables. Nous ne débattrons pas de savoir si le montant des aides sociales doit être réduit mais accessibles à tous, ou plus élevé avec une préférence nationale. Nous lutterons continuellement pour qu'elles soient suffisantes, et universelles.

 

La politique ouvertement discriminatoire du RN devrait suffire à tout médecin qui souhaite respecter ses engagements de soins "sans considérations d'âge, de maladie ou d'infirmité, croyance, d'origine ethnique, de sexe, de nationalité, d'affiliation politique, de race, d'inclinaison sexuelle, de statut social ou tout autre critère" pour exclure un vote d'extrême droite. Il en est d'autant plus urgent de lutter de toutes nos forces contre le fascisme, de relayer et d'écouter la parole des personnes concernées par les discriminations, pour mieux dessiner les contours de ces phénomènes afin d'y trouver des solutions qui respectent les valeurs du soin auxquelles nous souscrivons et les individus qu'ils concernent.

 

Le SNJMG

Santé des exilé-es : interview d’une des membres du Comède

Santé des exilé-es : interview d’une des membres du Comède

 

Dans le cadre de notre mois sur les discriminations en santé, nous allons parler des discriminations envers les personnes exilées. Pour cela, nous avons interviewé Océane Gaigeot, médecin généraliste au Comède, comité pour la santé des exilé-es.

 

    Pouvez vous présenter le Comede, ses actions, ses objectifs  ?

 

Le Comede est une association qui a pour missions d’agir en faveur de la santé des personnes exilées et de défendre leurs droits. Notre équipe est composée d'une centaine de personnes salariées et bénévoles. L'association propose des lieux d'accueil en Île-de-France (Kremlin-Bicêtre, Pantin et Paris), à Saint-Etienne, Marseille et Cayenne en Guyane. Nous développons également des activités de formation, d'information et de recherche, notamment via nos permanences téléphoniques et des publications, par exemple les livrets de santé bilingue et le Guide du Comede. Nos actions reposent sur l’expérience pluridisciplinaire de l’équipe en matière de soins et d’accompagnement des personnes exilées. Elles sont conduites en partenariat avec d'autres associations, des institutions publiques et un réseau de professionnel·le·s de la santé, du droit et de l’action sociale.

 

    A quelles problématiques sont confrontés les exilé.es pour l'accès aux soins ?

 

Du fait de leur statut juridique particulier, les personnes étrangères se trouvent confrontées à des difficultés spécifiques, essentiellement dues à des difficultés d'accès aux droits. Plusieurs réformes récentes, dont la dernière en novembre 2019 ont supprimé le droit à la protection maladie pendant les premiers mois de séjour en France, notamment le droit à la sécurité sociale pour les demandeurs d'asile et à l'aide médicale Etat pour les personnes sans titre de séjour. En outre par la suite, les personnes exilées peuvent  traverser des périodes longues et récurrentes de rupture de ces droits. De plus, la complexité des procédures, la dématérialisation et des demandes abusives de justificatifs par les caisses d'assurance maladie rendent souvent nécessaire le recours à un.e professionnel.le dans l'accompagnement de ces démarches. La difficulté d'accès à l'interprétariat professionnel est un obstacle supplémentaire dans l'accès aux droits et aux soins des personnes étrangères allophones. Le coût des transports en commun et la peur des contrôles d'identité sont également des freins, renforcés par la difficulté d'accès au réseau de soins de proximité (médecine générale de ville notamment) du fait de l'absence de protection maladie ou d'accès à l'interprétariat professionnel. A tous ces freins s'ajoute la forte compétitivité des besoins primaires (c'est-à-dire le besoin d'accès à un hébergement digne, à une alimentation quotidienne, à l'hygiène...) qui peut favoriser non recours ou un renoncement aux soins. Actuellement, l'obligation du passe sanitaire pour accéder aux services hospitaliers et le coût des tests covid pour les personnes sans protections maladies sont des freins supplémentaires qui touchent particulièrement les personnes exilées. 

 

 

    Comment se passe l'accès à l'AME, dont le panier de soin est très réduit et l'accès de ce que nous savons peu aisé ?

 

Depuis 2020, l'accès à l'AME (Aide Médicale d'Etat) a été considérablement restreint. Alors qu'il fallait 3 mois de présence pour faire la demande, il faut maintenant 3 mois de situation irrégulière sur le territoire français. Cela prolonge d'autant l'accès aux soins et entraine des ruptures de suivi et de traitement pour les personnes déboutées d'asile par exemple. Nous constatons de plus en plus de refus d'attribution de l'AME pour des personnes qui remplissent pourtant les critères d'attribution, et doivent alors renouveler leur demande. De plus, l'accès à l'AME nécessite d'avoir une domiciliation qui est parfois refusée par les CCAS (Centre Communal d'Action Sociale), dont c'est pourtant la mission. 

 

    Quelles sont les conséquences pour leur santé des discriminations et barrière à l'accès aux soins auxquels ils font face ? Auriez vous des éléments à nous apporter pour expliciter cet impact ?

 

Les violences dans le pays d'origine et sur le trajet ont un impact sur la santé mentale et physique des personnes exilées. A leur arrivée en France, nombreuses sont les personnes s'inquiétant de leur état de santé et l'absence d'accès aux soins devient une source supplémentaire de préoccupation. De plus, il peut y avoir une rupture de prise de médicament pour des maladies chroniques, des ruptures ou des retards de suivi de grossesse, un dépassement du délai légal de recours à l'IVG. Outre les refus de soins documentés par les pouvoirs publics chez certains professionnels de santé libéraux à l'encontre des personnes bénéficiaires de l'AME ou de la CSS, nous sommes également sollicités dans les permanences téléphoniques du Comede pour des restrictions, retards et parfois refus de soins à l'hôpital public pour des étrangers atteints de maladies graves et dans l'attente de leur ouverture de droits à l'AME ou à la sécurité sociale. 

 

Les Maux d'Exil 53 et 66 traitent respectivement des discriminations dans l'accès aux soins des cancers et en néphrologie.

 

    Les exilé-es subissent souvent l'accumulation de multiples oppressions. Retard de soins, mauvaise prise en charge de la douleur, jugements et propos racistes, discriminatoires des soignant-es, comment constatez vous sur le terrain l'impact sur leurs prises en charge de toutes les discriminations dont ils font l'objet ?

 

C'est particulièrement auprès des personnes rencontrées dans le cadre de notre activité d'aller vers (nous intervenons dans un bidonville) que l'on observe de manière exacerbée les conséquences de ces multiples oppressions. On les retrouve également auprès des patient.es que nous accompagnons au sein de nos différents dispositifs. On constate une méfiance des lieux de soins et notamment des hôpitaux. Or il s'agit du principal lieu de soin accessible aux personnes sans protection maladie. Cette méfiance fait suite à des expériences négatives, parfois traumatiques, qui jalonnent leurs parcours de soins. Ce peut être un accouchement difficile sans la présence d'un.e proche ou d'un.e interprète, l'infantilisation des patient.es qui rencontrent des difficultés à suivre les conseils des médecins ou bien des refus abusifs d'inscription aux urgences, motivés par l'absence de d'adresse ou de pièce d'identité. Cette méfiance porte sur la crainte d'être de nouveau insulté, discriminé ou de se voir imposer des soins. Le recours aux soins est donc reporté au moment où la dégradation de l'état de santé est telle qu'elle ne peut plus être ignorée. L'accès aux soins  fait donc dans la précipitation, souvent dans les services d'urgences déjà débordés et vient créer un nouvel évènement négatif. L'accès à la prévention est également inexistant dans ces situations. 

 

    Avez vous des idées d'ouvrages, podcasts à conseiller aux soignant-es pour se sensibiliser à la question ? Comment mieux former les soignant-es a la question de la santé des exilé.es ?

 

Le guide de Migration Santé Alsace, Vers plus d’égalité en santé : guide de prévention et de lutte contre les discriminations, est un outil intéressant de sensibilisation aux discriminations dans les soins. Il propose également des ressources et conseils pratiques à appliquer face à une discrimination.  

 

Le Comede dispose également de plusieurs outils pour aider les professionel.le.s dans l'accompagnement des personnes exilées : 

- le guide Comede en ligne : Guide.comede.org, en cours de mise à jour, dans le cadre d'un partenariat avec Santé Publique France

- la revue Maux d'exil, publiée 4 fois par an, qui se consacre à un dossier abordé en regards croisés par différents intervenants du champs du médico-social . Le dernier en date portait sur l'épidémie de VIH/Sida.

 

 

    La barrière de la langue est un obstacle supplémentaire qui limite l'accès aux soins. Les services d'interprétariat sont peu développés. Avez-vous des idées pour améliorer cela?

 

 

Alors qu'il est possible dans la plupart des hôpitaux publics, le recours à l'interprétariat est souvent sous-utilisé soit par méconnaissance des soignant.es soit par instruction des directions hospitalières par soucis d'économie. Pourtant en 2017, le Collège de la Haute Autorité de Santé (HAS) émet un avis concernant la formation des acteurs et les bonnes pratiques du secteur sur l’interprétariat linguistique. Il y est ainsi précisé que les Programmes régionaux pour l'accès à la prévention et aux soins des plus démunis (PRAPS) incluent le développement du recours à l’interprétariat professionnel par les structures de santé, l’ancrant ainsi dans les politiques publiques au plus près des territoires de vie des personnes exilées. L’avis précise également que « le Collège considère que le respect des bonnes pratiques énoncées dans ce référentiel nécessitera la reconnaissance et un financement adapté des dispositifs d’interprétariat professionnel. » 

 

Considérant que l’interprétariat professionnel en santé est un déterminant de l’accès aux soins et à la prévention des publics précaires, la question de l’harmonisation au niveau national de ses modalités de financement est un enjeu central pour garantir la généralisation de son utilisation par les structures de santé. Actuellement financé sur programmes régionaux de santé, il est primordial d’en assurer le financement pérenne pour garantir l’égal accès de toutes et tous à la santé ainsi que la qualité des soins prodigués. 

 

Le Maux d'Exil n°49 revient sur l'importance de l'interprétariat professionnel dans les soins.  

 

    Quelles sont les actions/mesures qui pourraient améliorer leurs prises en charge? Si vous deviez proposer trois mesures prioritaires quelles seraient-elles?

 

Nous proposerions les mesures suivantes: 

- Garantir l’accès à l’interprétariat aux personnes non francophones à toutes les étapes du parcours de soin et l'accès aux droits. Afin qu'elles puissent accéder plus facilement à une protection maladie et à des soins de qualité. 

- Inclure l’Aide médicale de l’Etat (AME) dans le régime général de Sécurité sociale. Cela permettrait une simplification des démarches tant pour les usagèr.e.s que pour les professionnel.le.s ce qui favoriserait l'accès aux soins (plus d'infos ici: https://www.france-assos-sante.org/wp-content/uploads/2019/02/Argumentaire-Fusion-AME-SS.pdf).

- Rendre accessible les soins primaires de proximité aux personnes sans protection maladie. En effet, pour les personnes sans protection maladie, le suivi de médecine générale n'est possible sans reste à charge uniquement dans les hôpitaux disposant d'un service PASS (Permanence d'Accès aux Soins de Santé), si on fait exception des rares PASS ambulatoires. 

 

 

    En pratique pour un-e soignant-e, quelles peuvent être ses ressources au niveau local ou national pour contribuer à la prise en soin convenable d'un-e exilé-e ? Y a t il des spécificités selon la tranche d'âge ?

 

J'en vois trois qui me semblent utiles au quotidien. Tout d'abord les livrets de santé bilingues, coédités par le Comede et Santé Publique France, qui sont un support de dialogue pour les personnes migrantes et les professionnel·le·s de la santé ou du social. Ils sont conçus pour aider à mieux connaître et maîtriser les enjeux de prévention en santé, à comprendre les circuits d'accès aux soins et aux droits. Gratuit, ces livrets sont disponibles en 15 langues et peuvent être commandés auprès de Santé publique France. Aussi, le caractère pluridisciplinaire du Comede nous a conduit à concevoir un guide pratique, conçu comme un pont entre des pratiques professionnelles qui concourent à la promotion de la santé des personnes exilées. Ce Guide tient compte de la complexité croissante des problèmes de santé des personnes : précarisation du statut administratif, transformation épidémiologique et diversification de l’origine géographique. Une version intégralement en ligne est en cours d'élaboration et des premiers articles consultables à l'adresse Guide.comede.org. Enfin, les permanences téléphoniques (médicales, psychologiques et socio-juridiques) sont également une ressource précieuse en cas de difficulté face à une situation portant sur l'accès aux droits ou aux soins des étrangère.s. 

 

 

Travailleur.ses du sexe et santé. Interview du coordinateur national pour le STRASS

Travailleur.ses du sexe et santé. Interview du coordinateur national pour le STRASS

 

Dans le cadre de notre mois contre les discriminations, nous parlons également des discriminations envers les travailleur.ses du sexe. Pour cela, nous avons interviewé le coordinateur national pour le STRASS, syndicat du Travail Sexuel, qui défend les droits et les intérêts de touTEs les TDS en France depuis 2009.

 

    Quels sont les obstacles à une bonne prise en charge en matière de santé des TDS ?

 

Il y aurait beaucoup de choses à dire mais les barrières structurelles les plus importantes sont la criminalisation du travail sexuel, les discriminations, l'absence de droits, la précarité, notamment administrative, au regard du séjour et du logement, les barrières culturelles et linguistiques, etc

 

    Plusieurs oppressions semblent s'entrecroiser: sexisme, transphobie, racisme, putophobie... comment et par quoi constatez-vous sur le terrain les problématiques que soulève le fait d'être à l'intersection de ces différentes formes d'oppression ?

 

Il ne s'agit pas simplement d'une addition des discriminations mais de leur manifestation par des mécanismes plus forts, plus pernicieux comme des renversements des rôles et des responsabilités par rapport aux oppresseurs, l'absence de recours et de possibilité de se défendre, et un enfermement dans des statuts d'incapacité pour confisquer nos paroles, instrumentaliser nos souffrances contre nous mêmes, la disqualification systématique de nos prises de parole, des formes de pathologisation, une non-reconnaissance de nos droits humains, etc.

Comment se manifeste ces oppressions? Dans la vie quotidienne, le non accès à certains espaces, services, droits ou protections, les accusations systématiques, les punitions, l'intériorisation de la peur et de la non légitimité en tant que sujets citoyens, la précarité et donc la frustration de ne pas accéder aux mêmes loisirs et consommations, l'absence de temps libre, le non accès à la culture et aux savoirs, l'exposition à la violence, notamment la violence dite légitime de l'état, etc.

 

    En quoi les conditions d'exercice du TDS impactent la santé de ces travailleurs.ses et leur accès aux structures des soins de santé ?

 

L'exercice du TDS en soi n'est pas préjudiciable à la santé, mais quand il est criminalisé, stigmatisé, caché, précarisé, exploité, cela engendre des prises de risques, une exposition à la violence, au stress, un endommagement de la santé physique et mentale, à des renoncements aux soins. L'accès aux structures de soins peut être rendu plus compliqué quand la précarité pousse à davantage de mobilité et une perte de temps et d'énergie et donc une moindre attention à sa propre santé et bien être quand il y a d'autres priorités comme survivre, gagner de l'argent pour se payer à manger ou une chambre d'hôtel où dormir. Certains comportements de professionnels peuvent décourager comme le fait de ne pas vouloir comprendre une personne parler avec un accent, ou appeler "monsieur" une femme trans devant une pleine salle d'attente.

 

    Les politiques de criminalisation de l'exercice et/ou de la clientèle du TDS ont-elles un impact sur la santé des TDS ?

 

Oui, plusieurs études montrent une dégradation de la santé. L'étude Lebail-Giametta montre que 38,3% des TDS ont + de difficulté à imposer le préservatif 2 ans après la loi de 2016 alors que le rapport HAS de janvier 2016 montrait un taux d'usage systématique du préservatif de 95%. L'étude Shannon 2014 parue dans the Lancet montre que la décriminalisation du travail sexuel pourrait réduire de 33 à 46% les infections au VIH chez les TDS. De manière générale, toute politique de criminalisation réduit l'accès aux soins et à la santé. L'accroissement de l'exposition aux violences et à l'insécurité, (déplacements vers des lieux plus reculés, perte de pouvoir de négociation et donc prises de risques avec des hommes réputés dangereux, interdiction d'embaucher une partie tierce pour sa protection à cause du proxénétisme, interdiction du travail en intérieur et de travailler à plusieurs pour sa sécurité) ont aussi un impact sur la santé, notamment la santé mentale.

 

    Des profils très variés font le TDS, des problématiques sont-elles constatées également sur des notions telles que des TDS ne parlant pas français, n'ayant pas de service de couverture des soins ?

 

Oui évidemment, il y a des spécificité pour les migrantes, les personnes trans, les TDS usagères de drogues. En sachant que la précarité et la mobilité sont reconnues par le CNS comme des facteurs de prises de risques, contrairement à l'exercice du TDS en lui même.

 

    Vous constatez que le fait d'être TDS en soi mène à une moins bonne prise en charge en matière de soins de santé, mène à des comportements discriminants de la part des soignant.es et structures de soins ?

 

Non au contraire, les TDS ont à coeur d'accéder à une bonne santé, et notre mouvement s'est construit en grande partie via la santé communautaire à partir des années 1980, avec de bons résultats puisque nous avons empêché une épidémie VIH comme celle connue en Afrique sub saharienne, ou d'autres pays, parmi les femmes cisgenres.

En revanche, il existe encore certains comportements discriminants de la part des soignants, notamment dans l'accès aux soins gynécologiques ou en santé mentale, puisque certains cherchent à décourager l'exercice de notre travail considéré comme la cause de nos problèmes de santé, au lieu de nous soigner sans jugements.

 

    Les actions de prévention et d'accompagnement (en matière d'informations comme matérielles) sont-elles portées et soutenues par les structures de santé ou cela repose-t-il essentiellement  (sinon uniquement) sur la camaraderie et des associations locales ?

 

Il y a peu de structures qui osent parler directement et franchement de travail sexuel, à cause de la stigmatisation, mais le tissu associatif communautaire et ou en réduction des risques crée des partenariats avec des structures de soins, notamment hospitalières pour faciliter l'accompagnement. Malheureusement, cela peut être assez inégal sur le territoire.

 

    Comment améliorer la globalité de la prise en charge en santé des TDS, auriez-vous quelques mesures phares à donner en exemple ?

 

Oui, il faut avoir une approche de santé globale, qui prenne en compte des questions sociales, comme le logement, le séjour, la précarité, une approche qualitative et pas juste une approche statisticienne d'inonder tout le monde de capotes et de traitements, sans comprendre pourquoi on n'utilise plus de préservatifs ou qu'on a des difficultés d'observance.

Il y a un risque de croire que notre population clé n'est pas responsable, alors qu'en réalité il y a des barrières structurelles qui expliquent nos problèmes. Nous préférons donc parler d'oppressions subies que de "vulnérabilités".

Il faut s'appuyer sur la santé communautaire car c'est ce qui fonctionne le mieux. Il faut une offre de dépistage et de soins complète car cela peut se réduire aux tests sanguins et pas prélèvements muqueuses, il faut du dépistage hors les murs car tout le monde n'a pas le temps de se rendre en centres, maitrise la langue pour prendre les rendez vous par téléphone,

Il faut favoriser l'accès à la santé mentale par des professionnels non jugeants.

 

    Si un.e professionnel.le de santé ou structure voulait se sensibiliser, s'améliorer, s'engager vis à vis des problématiques touchant aux TDS, vers quoi pourrait-iel se tourner ? Ressources, associations, formations ?

 

Il faudrait travailler avec les assos de santé communautaire. Lire les rapports d'activité des assos et des réseaux. Lire les recommandations internationales notamment les SWIT guides de l'OMS et ONUSIDA. On peut aussi éventuellement créer des rencontres et échanges.

 

Déserts médicaux et accès aux soins

 Communiqué de Presse : Déserts médicaux et accès aux soins 

 

Déserts médicaux et accès aux soins : un constat en aggravation 

Le 31 mars 2022, l'ARS a communiqué la nouvelle carte de zonage des déserts médicaux. 

On y observe que 96,3% de la population francilienne vie dans un territoire sous-dense et seule 3,7% de cette population a accès à un médecin dans des bonnes conditions. 

Parmi ces zones, on distingue 3 rangs : 

    - ZAC : zone d'action complémentaire qui représente 33,9% de la population francilienne (contre 39,5 en 2018 lors de la cartographie précédente). Ces zones sont des "pré" déserts médicaux, où des actions doivent être menées pour éviter leur basculement complet.

    - ZIP : zone d'intervention prioritaire, les déserts médicaux, qui représente 62.4% de la population francilienne (contre 37.6% en 2018). 

On y constate aussi le basculement de nombreuses ZAC en ZIP entre 2018 et 2022. 

 

A titre de comparaison, la cartographie en région Bretagne en 2020 retrouvait 

- 10.9% de la population en ZIP 

- 32.2% de la population en ZAC 

 

Concernant l'Ile de France, il a cette année été créé une catégorie ZIP +, où la situation et l'accès aux soins sont considérés encore plus difficiles. 

Là où les ZIP bénéficient d'aides financières à l'installation et au maintien, les ZIP + sont aidées pour accueillir

les étudiants en médecine et créer des structures d'exercices en commun. 

 

La désertification médicale représente un danger pour les soignant-es comme les patient-es. D'un côté, un important risque de surmenage professionnel et une patientèle trop conséquente. De l'autre, une grande difficulté à trouver de nouveau médecin-e traitant-e lorsque le besoin se présente.

La prise en charge morcelée nuit au bon diagnostic comme au suivi des pathologies chroniques et à la coordination entre professionnel-les; la surcharge des praticien-nes entrave leur capacité à réaliser des consultations d'urgence, avec les conséquences que l'on connaît sur les structures hospitalières.

 

Les pistes que nous soutenons pour améliorer l'accès aux soins 

 

Nous proposons :

- le développement des dispositifs "infimier-es de pratique avancée" ou "infirmier-es Asalée", qui accroissent le champ d'action de ces professionnel-les notamment dans l'accompagnement aux modifications thérapeutiques du modes de vie et par la réalisation d'éléments médicaux ne nécessitant pas le recours à un médecin. 

- la meilleure répartition des tâches entre professionnel-les de soin, incluant les professionnel-les de santé médicaux et paramédicaux, en réévaluant quels actes doivent rester sous la seule responsabilité du médecin. 

-  la constitution d'un service public de soins primaires reposant sur la création de centres de santé avec des professionnel·les salarié·es, pour lesquels l'ouverture de nouveaux postes serait basée sur les besoins estimés pour le territoire 

- l'augmentation des capacités d'accueil des facultés formant ces professionnel-les, suppression du numerus apertus, ainsi que la création de la licence santé tant promise. De même, l'ouverture de plus nombreux stages en ambulatoire afin d'offrir une formation pratique diverse et sans surnombre sur les lieux de stage. 

- réduire les inégalités d'accès aux études de médecine en s'attaquant aux déterminants connus de l'abandon avant et pendant les études, ici (mais évidemment pour d'autres raisons aussi) car 60% des jeunes médecins considèrent la proximité familiale comme un élément majeur de leur choix d'installation

 (source : https://www.conseil-national.medecin.fr/publications/communiques-presse/enquete-determinants-linstallation)

- la création d'instances incluant soignant-es et soigné-es pour que les concerné-es soient au coeur des prises de décision qui les concernent notamment concernant la réflexion sur que faire vis à vis des déserts médicaux

- réduire la charge adminstrative des médecin-es, notamment par la suppression de tâches dont l'objectif principal est celui du contrôle à priori du bienfondé des dépenses : bons de transport, certificats enfant malade... Et simplification des démarches administratives les plus coûteuses en temps. 

- proposer, comme sur le modèle du CESP proposé aux étudiant-es en médecine, d'assurer une rémunération aux étudiant-es en santé de toutes les filières, aussi bien médicales que paramédicales s'ils s'engagent à assurer une période en zone de désert médical de leur choix.

 

 

Nous ne proposons pas :

- de forcer l'installation en zone sous-dotée. Les internes sont en formation et doivent être considérés dans leur qualité d'étudiant avant d'être des employés du service public. L'obligation d'installation sur un temps court précarise les projets de vie de ces soignant-es, et n'offrirait pas une meilleure continuité des soins pour les patient-es qui en bénéficieraient puisqu'il entraînerait un changement de médecins tous les 6 mois. Nous ne voyons, enfin, aucune raison qui justifierait qu'on oblige le déplacement des médecins sur le seul critère d'âge.

- de mesures incitatives sur le modèle existant, qui ne semble pas améliorer la répartition des médecins sur le territoire.

Sexisme dans le milieu médical : interview du collectif Héro·ïnes 95.



Sexisme dans le milieu médical : interview du collectif Héro·ïnes 95.

 

Dans le cadre de notre mois dédié à la lutte contre les discriminations en santé, nous avons décidé de réaliser une interview du collectif féministe Héro·ïnes 95 (@Heroines95)

 

Nous vous invitons à lire leurs réponses.

 

1. Héroïnes 95 est un collectif féministe qui milite beaucoup contre le sexisme dans le milieu médical, pouvez-vous en dire plus sur vos actions ?

 

Nos actions tournent principalement autour de rencontres, actions de solidarité, happenings, collages féministes, et de publications sur les réseaux sociaux (@heroines95).

Notre motivation : lutter contre toutes les discriminations, dont celles faites aux femmes et aux minorités de genre : violences sexistes et sexuelles, racisme, validisme, grossophobie, classisme, LGBTQIA+phobies, etc.

 

2. Sous quelles formes peut se manifester le sexisme dans le milieu médical ?

 

Le sexisme dans le milieu médical apparaît, comme dans la société, à tous les niveaux : dans la formation des soignant·es, dans les inégalités salariales, dans les différences de traitements selon le genre (que le genre soit supposé ou réel) (ex : courbe du poids, erreurs de diagnostic, psychiatrisation des femmes, hypersexualisation, injonctions à la maternité, etc.), dans la prévention (ex : crise cardiaque plus fréquemment dépistée chez les hommes, contraception, autisme, etc.), dans la réception de la parole, dans la recherche scientifique, etc. Il faudrait des jours et des jours pour lister toutes les manifestations possibles de ce sexisme.

 

 3. Il y a eu ces derniers temps, plusieurs "affaires" médiatisées de violences sexistes et sexuelles en consultation, des gestes non consentis, les touchers vaginaux sans consentement, etc. Ces affaires, extrêmement choquantes, sont pourtant peu rares.

 Que pourriez-vous nous dire sur ces sujets ? Quelles sont vos revendications pour permettre d'améliorer la prise en charge des patientes contre le sexisme en santé ? Et notamment dans la formation des futur·es soignant·es ?

 

La libération de la parole a été encouragée grâce à des associations comme CFCV, StopVOG, et de nombreuses autres et aux appels à témoins qui ont permis aux victimes de se réunir. L’investissement massif des réseaux sociaux pendant le confinement a aussi certainement aidé. Pourtant, il y a toujours un décalage énorme entre tous les témoignages que nous recevons en privé et le nombre de personnes qui témoignent publiquement et qui se lancent dans une procédure. Nous sommes persuadé·es que l’union fait la force, d’autant plus pour ce genre d’affaires où il sera compliqué de prouver les actes inappropriés et où les accusé·es jouissent non seulement d’une certaine aura dans le milieu médical mais aussi d’un statut de notable qui leur apporte toutes sortes de privilèges.

 

Concernant nos revendications, tout d'abord, nous souhaitons la dissolution de l'ordre des médecins.

Les programmes de formations en médecine sont également à revoir, avec notamment des formations dans l'écoute des victimes de violences et des formations régulières obligatoires pour la remise à niveau des connaissances et des pratiques pour une meilleure prise en charge, et écoute des patient·es.

La présence quotidienne de médecin·es dans les établissements scolaires serait également nécessaire, ainsi que plus d’investissements financiers et humains dans la médecine scolaire. Des formations à la santé doivent être organisées dès l'école : primaire, collège, lycée.

L’accès à l’information et aux soins doit être disponible pour toustes via, notamment des campagnes publiques de prévention régulières sur différents sujets (ex : le consentement, la contraception, les IST/MST, les impacts du validisme, du racisme, du classisme, etc.), et ces campagnes doivent prendre la même ampleur que celle liée au Covid pour s’assurer que tout le monde ait les infos.

La recherche doit se mener via des protocoles de tests égalitaires entre femmes et hommes. Par ailleurs, une meilleure prise en charge des traitements doit être établie, avec la reconnaissance de l’endométriose, par exemple, et de l’arrêt naturel de la grossesse qui devrait donner droit à des soins et à une prise en charge adaptée.

Le choix des soignant·es devrait toujours être possible et non discuté.

Il faudrait enfin faciliter les recours quand il y a maltraitance et/ou des erreurs médicales afin d'aider les victimes dans leurs démarches.

 

4. Quelles sont les conséquences de ce sexisme sur la prise en charge des patient·es ? Et donc sur leur santé ?

 

Il existe de nombreuses conséquences du sexisme sur la prise en charge médicale. Les maltraitances médicales entraînent des traumatismes et, le refus ou la peur de consulter et/ou de se soigner. Cela risque d'entraîner un retard dans les diagnostics et la prise en charge.

Le sexisme représente aussi un facteur entrant en jeu dans les erreurs de diagnostics (pas uniquement le sexisme, mais aussi le racisme, le validisme, le classisme, les LGBTQIAphobies, etc.).

 

5. Vous avez publié une tribune sur le #MeTooGHB, avec entre autre la nécessité d'une formation des professionnel·les de santé pour la prise en charge des victimes de violences sexistes et sexuelles. De façon générale, la formation pour l'accompagnement des personnes victimes de violences est très succincte voire inexistante.

Quelles sont les mesures concrètes que vous souhaiteriez pour la formation des soignant·es?

Pouvez-vous donner quelques éléments de conduite à tenir face à une personne victime de violences sexistes et sexuelles qui consulte aux urgences pour un bon accompagnement ?

 

La priorité, c’est de croire les personnes quand elles disent que quelque chose ne va pas et qu’elles souhaitent des tests. Concernant la formation pour les services d'urgence, il serait nécessaire d'avoir dans chaque équipe une personne référente formée à la prise en charge des victimes de violences sexistes et sexuelles.

Il faut également informer toustes les soignant·es sur la soumission chimique, et sur les prélèvements à réaliser, ainsi que sur les protocoles à respecter de façon générale pour mieux accompagner les victimes.

Les urgentistes devraient également être formé·es à l’écoute empathique (ex : communication non violente) et informé·es des numéros d'aide à transmettre, des associations qui peuvent venir en aide aux victimes.

De façon plus générale, il y aurait également un bénéfice pour tout le monde, en termes de violences sexistes et sexuelles, à une augmentation des effectifs, et des moyens pour les hôpitaux.

 

 

6) Auriez-vous des ouvrages, podcasts, à conseiller aux soignant·es qui

s'intéresseraient à ce sujet ?

 

Tout ouvrage, article, podcast, vidéo…qui permet de déconstruire les stéréotypes et de lutter contre toutes les formes de discrimination serait utile. Il est difficile d’en faire une sélection, tant il y en a. On pourrait commencer par l’écoute et recommander de lire des témoignages en suivant des comptes d’autres personnes et associations sensibilisant au validisme, au racisme, à la grossophobie, à la transphobie :

@licegateaux

https://www.instagram.com/licegateaux/

 

@andy_in_the_city

https://www.instagram.com/andy_in_the_city/

 

@camillethemermaid

https://www.instagram.com/camillethemermaid/

 

@hcommehandipocast (podcasts)

https://www.instagram.com/hcommehandipodcast/?hl=fr

 

@mulakoze

https://www.instagram.com/mulakoze/

 

@raplapla_et_porte_voix

https://www.instagram.com/raplapla_et_porte_voix/

Ressources : https://linktr.ee/Raplaplaetportevoix

 

@elisaamaranta (à suivre aussi sur Twitter)

https://www.instagram.com/elisaamaranta/

 

@graspolitique (association)

https://www.instagram.com/graspolitique/

Plein de ressources sur leur site : https://graspolitique.wordpress.com/

 

@stopgrossophobie (et son livre : « T’as un joli visage », Kiwi, 2022)

https://www.instagram.com/stopgrossophobie/

 

@aggressively_trans (et son livre : « Une histoire de genres », Marabout, 2021)

https://www.instagram.com/aggressively_trans/

 

@xymedia (média transféministe audiovisuel)

https://www.instagram.com/xymediafr/

 

@stop_asiaphobie

https://www.instagram.com/stop_asiaphobie/

 

@asiattitudes (podcasts et articles)

https://www.instagram.com/asiattitudes/

 

@tetonsmarrons

https://www.instagram.com/tetonsmarrons/

Dont https://tetonsmarrons.com/2020/01/18/racisme-dans-le-milieu-hospitalier/

 

@decolonisonsnous (podcasts)

https://www.instagram.com/decolonisonsnous/

Dont : http://www.slate.fr/story/191766/universalisme-antiracisme-republique-france-histoire-coloniale

 

@tantquejeserainoire (podcasts et aussi @tantquejeseraiathlete)

https://www.instagram.com/tantquejeserainoire/

https://www.instagram.com/tantquejeseraiathlete/

 

@assolallab

https://www.instagram.com/assolallab/

 

@recoudreca (et son livre : « Comment est-ce qu’on va recoudre ça ? – Halte aux violences à l’accouchement ! », Flammarion, 2022)

https://www.instagram.com/recoudreca/?hl=fr

 

@stopvogfr (association : Stop aux violences obstétricales et gynécologiques)

https://www.instagram.com/stopvogfr/?hl=fr

 

@lesdevalideuses

https://www.instagram.com/lesdevalideuses/

 

@espacesantetrans (association en Ile-de-France)

https://www.instagram.com/espacesantetrans/

 

Facebook :

@pourunemeuf

https://www.facebook.com/pourunemeuf

@gynandco

https://www.facebook.com/gynandco.be

 

Concernant les livres, voici une de nos storys Instagram avec de nombreuses références.

 

https://www.instagram.com/s/aGlnaGxpZ2h0OjE3OTAwMzU4Mzg4NTcxMTk0?story_media_id=2408930485293073243_27952817413&utm_medium=copy_link

@cri_du_corps et  @marine.mom.kreol

Mais il y en aurait tellement d’autres, c’est toujours triste et angoissant de ne pas pouvoir citer tout le monde…

 

 

 

 

Usager-es de drogues et discriminations en santé : interview de Suzanne B

Usager-es de drogues et discriminations en santé : interview de Suzanne B

 

Dans le cadre de notre mois sur les discriminations en santé, nous avons choisi de parler des usager-es de drogues afin d’évoquer leurs prises en charge et les discriminations auxquelles iels sont confrontées.

Voici l’interview de  Suzanne B., Usagère de drogue.

 

- Quels sont les soins urgents dont auraient besoin les usagèr-es de drogue à l'heure actuelle ?

 

 J'ai envie de dire : les mêmes que pour les personnes qui ne font pas usage de drogues. Nous rencontrons les mêmes problèmes de santé que le reste de la population.

 

- En France, le suivi des personnes usagèr-es de drogues repose avant tout sur le sevrage en premier lieu puis la prise en charge des complications éventuelles. Pensez vous qu'une autre solution soit possible ? Quelles sont les pistes pour pouvoir assurer le suivi d'un usagèr-e qui continuerait sa consommation ?

 

 La meilleure approche me semble être de partir de ce que la personne souhaite (et de ce qu'elle souhaite vraiment, sans pressions extérieures, principalement la pression au sevrage et à l'abstinence). Pour certaines personnes l'abstinence semble être la solution, pour d'autres contrôler leur consommation, la baisser, faire en sorte qu'elle soit régulière, ou simplement limiter les risques et dommages... La piste principale me semble être le non-jugement (j'ai envie de dire, en matière de drogues aussi : mon corps, mes choix), et aussi ne pas confondre usage de drogues et addiction (on le fait très bien quand il s'agit d'alcool, mais c'est loin d'être acquis concernant la coke ou l'héro).

 

- Quelles sont les discriminations principales subies par les usagèr-es de drogue ?

 

Le paternalisme et l'infantilisation ("je sais mieux que toi ce qui est bon pour toi", "vous ne savez pas faire une intraveineuse"), le refus de prendre en compte notre expertise expérientielle sur le sujet, la coercition, le non-respect de notre (non) consentement, le refus de prendre en compte notre parole car nous serions "tou-te-s des menteurs/euses", le rejet, les très nombreux préjugés (sales, voleurs/euses, menteurs/euses, criminel-le-s en puissance, incapables de prendre soin de nous, etc), la discrimination par la loi (pénalisation de certains usages tandis que d'autres sont légaux)... la liste est longue !

 

- Quelles sont leurs conséquences sur la santé des usagèr-es ?

 

 L'alliance de ces discriminations toxicophobes chez nombre de soignant-e-s et de fréquents psychotraumatismes chez les UD fait qu'on est nombreux/euses à éviter les soins... (Pour parler un peu de moi, j'ai la phobie des actes médicaux, et il faut une sacrée dose de non-jugement, de mise en confiance et de respect absolu de mon consentement pour que je fasse confiance à un-e soignant-e. Et je sais que mon cas est loin d'être exceptionnel.)

 

- Pouvez vous nous citer des actions de limitation des risques parmi les plus efficaces en terme de santé des usagèr-es ?

 

 La distribution de matériel (d'injection, de sniff, de fume) à usage unique, sans limitation en quantité (oui j'ai déjà vu ça, les limitations en quantité, genre "pas plus de dix seringues par jour et par personne" ><). Des informations claires et informées sur les produits, leurs risques, leurs atouts, sans dramatisation des risques, sur les modes de conso, etc. Des lieux d'accueil inconditionnels, au mieux où il est possible de consommer. La possibilité de tester les produits pour en déterminer les produits de coupe et le pourcentage de produit actif.

 

- Que pensez vous des salles de consommation à moindre risque ?

 

Je suis évidemment pour. Dans les petites villes, je suis aussi pour que la possibilité de consommer (à l'intérieur des CSAPA-CAARUD) soit offerte aux usagers/ères.

 

- Quelles mesures vous paraissent importantes à mettre en place pour une meilleure prise en soins des usagèr-es de drogue ?

 

Lutter contre l'ensemble des discriminations (y compris légales) et des préjugés dont sont victimes les usagers/ères, favoriser la réduction des risques et des liens de soins de confiance, sans jugements et avec un respect absolu de la pudeur, de la dignité et du consentement.

 

- Avez vous des exemples de santé communautaire mis en place par et pour les usager-es de drogue ?

 

Oui, et iels font un travail formidable : ASUD, Techno+, Keep Smiling...

 

- L'adelphité vous paraîtrait elle une piste pour sortir des habituels suivis par des soignant-es ?

 

 Il me semble que les soignant-e-s peuvent aussi être des adelphes, en fait. Avoir un diplôme de médecin et consommer des drogues ne sont pas antinomiques.

Plus généralement, je pense qu'il ne s'agit pas tant de sortir des suivis par des soignant-e-s, mais de favoriser les échanges entre soignant-e-s et usagers/ères, favoriser le travail ensemble, se nourrir les un-e-s les autres de nos expériences.

 

- Auriez vous des ouvrages, podcasts, à conseiller aux soignant.es qui s'intéresseraient à ce sujet ?

 

Oui ! En livres, je conseille : Pour en finir avec les toxicomanies, Psychanalyse et pourvoyance légalisée des drogues, du docteur Jean-Pierre Jacques, qui me semble incontournable.

Pour aller plus loin et si la sociologie vous intéresse : La Catastrophe invisible, Histoire sociale de l'héroïne (sous la direction de Michel Kokoreff, Anne Coppel, Michel Peraldi).

En podcasts, je conseille vivement Parcours Stups https://www.youtube.com/channel/UC_ntixMtd2sYISoNeBemjAg.

 

Et bien sûr, vous pouvez lire ASUD-Journal.

 

Discriminations dans le milieu médical : interview de Myriam interne en médecine générale et Rodolphe MG

Discriminations dans le milieu médical : interview de Myriam interne en médecine générale et Rodolphe MG

 

Rodolphe est médecin généraliste à Saint Etienne, M2 Inégalité Discrimination Territoire 

Myriam est interne de médecine générale à Saint Etienne, M2 Enjeux Sociaux et Politiques de Santé Ensemble.

Ils travaillent sur les discriminations en santé, ainsi que sur les risques psychosociaux des étudiant·es en médecine. Ils gèrent notamment un DU Accès au soin et lutte contre les discriminations en santé, à Saint Etienne.  

 

Tu travailles sur le syndrome méditerranéen, les risques psycho-sociaux des étudiants en médecine, l’humour carabin, l’accès au soin des personnes précaires… Chacun de ces aspects paraît très vaste, qu’est-ce qui les fait se rejoindre et t’y intéresser conjointement ?  

 

Les RPS des étudiant·es ont été l'entrée en matière. Les externes subissent leurs lots  de contraintes (en apprentissage, mais également “bouche trou” (secrétariat, brancardage) et parfois, d’humiliations (apprentissage par la terreur, sexisme, racisme, grossophobie…). En plus de la maltraitance (individuelle ou institutionnelle), les externes constatent aussi des discriminations envers les patient·es, et parfois les reproduisent.    

 

Existe-t-il des aspects institutionnels (qui dépassent la capacité de contrôle d’un individu dans ses interactions avec les autres) aux discriminations en santé ?   

 

L’hôpital est le reflet de la société. Les discriminations vécues par les individus sont reproduites dans le système de santé, parfois plus violemment du fait de l’omerta, voire même du déni (“on ne peut pas être raciste, on soigne tout le monde”) autour de ces problématiques. L’exemple typique est celui des patient·es “CMU” (maintenant C2S) perçu·es comme précaires et “assisté·es”, et donc “profitent” du système de santé. Dans les faits, les personnes qui bénéficient de la C2S ou de l’AME (aide médicale d’état) ont un accès au soin plus difficile, et parfois de moins bonne qualité. Plus encore, ces patient·es ont moins recours au soin devant la difficulté des démarches, et le refus des médecins, qui devient une habitude pour ces patient·es (cf article Non recours au soin des populations précaires). On retrouve un phénomène semblable avec les personnes identifiées comme maghrébines, noires, et même des pays de l’est (!) à travers le “syndrome méditerranéen”, que l’on justifie au nom du sauvetage de la sécurité sociale (cf article sur le sd méditerranéen).   

 

Sur quel type de données travailles-tu ? Comment est-ce que tu les rassembles, et quelles difficultés est-ce que ça pose ?  

 

 Nous travaillons sur des entretiens semi-directifs, un questionnaire en ligne (avec commentaires libres possibles), et les données de la littérature. Nous avons interviewé énormément de personnes, et nous avons eu beaucoup de réponses. Nous sommes toujours en train de les analyser. Les témoignages sont parfois profondément déprimants, ce qui nous encourage à continuer! Nous n’avançons malheureusement pas aussi vite que nous le voudrions, du fait de notre travail qui est assez prenant!  

 

 Que peux-tu nous proposer pour nous former à reconnaître ces discriminations, les éviter au quotidien, et intégrer la lutte contre celles-ci dans nos pratiques ?   

 

 Nous sommes tous parfois discriminatoires, souvent (heureusement) sans nous en rendre compte. La fatigue et le surmenage n’aident pas, notamment en cette période. Notre empathie peut diminuer. Nous sommes humains après tout! De plus, nous avons tous notre bagage culturel et social, des biais que nous avons intégrés. Il faut commencer par accepter la critique : ne pas vouloir “se jouer l’avocat du diable” ou avancer “l’expérience personnelle” comme vérité absolue, alors que c’est un biais énorme! Il faut accepter de se remettre en question, et de faire des erreurs. C’est sans doute le plus difficile. Il faut voir cela comme les RMM : ce ne sont pas des reproches à prendre personnellement mais un moyen d’évoluer ensemble vers des prises en charge non discriminantes.                  

 Cette attitude réflexive s’apprend, ce n’est pas forcément quelque chose de naturel. Ainsi, nous croyons profondément en l’importance de l’enseignement afin de limiter l’intégration de ces biais discriminatoires, avec une attitude réflexive à travers les cours de sciences humaines, les DU, ou les conférences par associatifs concernés.  Nous faisons notre maximum pour intervenir auprès des associations étudiant·es lorsqu’elles le souhaitent, comme la FNEK (kiné), les penseurs de plaie, le CLIT… Nous cherchons à transmettre les résultats de nos recherches afin de faire bouger un peu les choses, sinon cela ne restera que de beaux papiers inutiles qui prendront la poussière sur une étagère!