Refonder l'exercice médical de premier recours, inventer une médecine « durable »

Par Raphaël Gaillard, Emmanuel Gallot, Charles Mazeaud, Fabien Quédeville, Olivier Véran et Christian Saout*

Des responsables d'organisations de chefs de clinique, d'internes, d'étudiants, de jeunes médecins et d'une association de patients signent ensemble une tribune libre dans le cadre des débats organisés lors de ces états généraux de l'organisation de la santé.
Des états généraux de l'organisation de la santé se déroulent en silence depuis plusieurs semaines. Le temps du débat s'ouvre maintenant. C'est bien le moins pour nos concitoyens qui rencontrent des difficultés dans l'accès aux soins et pour les futurs médecins qui hésitent à s'installer ou y renoncent. Qu'ont-ils à dire ensemble ?

Que le manque de médecins à venir est dû aux errances du passé : absence de prévision et numerus clausus sévère. Mais qu'il tient également à un manque d'attractivité de la médecine générale, car les jeunes médecins ne veulent plus exercer seuls. Ils aspirent à la pluridisciplinarité, l'échange confraternel quotidien et la coordination opérationnelle avec les autres professions de santé.

Faute d'y porter remède, le déficit d'installation s'étendra progressivement à tout le territoire français, dans les zones rurales comme dans les zones urbaines ou périurbaines aggravant les inégalités de répartition des médecins si aucune mesure constructive n'est prise rapidement.

La valorisation d'un métier.
Les jeunes médecins veulent une médecine débarrassée des tâches administratives qui encombrent un temps médical devenu si précieux. Ils attendent aussi d'exercer une médecine de qualité impliquée dans la prévention, le soin, l'orientation du patient et la promotion de la santé. Leur mouvement de protestation du mois d'octobre dernier allait en ce sens, et leur volonté d'améliorer le système malgré les contraintes démographiques a réussi le tour de force d'engager tous les acteurs de la santé dans une réflexion concertée sur l'organisation de la santé.

Quant aux patients, ils attendent une médecine « durable » : favorable à l'écoute de leurs attentes plutôt que prompte à mettre fin rapidement par une ordonnance à un entretien médical censé les instruire. Et permettant de coordonner autour de leurs difficultés les intervenants compétents, dans une prise en charge garantissant la permanence des soins de proximité sans que celle-ci incombe systématiquement aux urgences.

Comment répondre à toutes ces attentes, dans un contexte financier contraint… et malheureusement traité séparément ?

En valorisant un métier qui subit une crise de vocation dangereuse pour le système de soins, notamment en faisant découvrir aux jeunes étudiants l'exercice de la médecine générale au plus tôt, par des stages qui font défaut aujourd'hui.

En réorganisant le système de santé qui doit définir les rôles et les missions de chacun. Les généralistes doivent occuper la position décisive de médecins de premier recours, ouvrant vers la médecine de spécialité dont l'organisation doit également être débattue au sein des états généraux.

Les médecins qui sont à la recherche de solutions pour leur installation doivent bénéficier de la création d'un guichet unique concernant les aides à l'installation et disposer de structures d'accueil permettant un exercice plus motivant, compatible avec une vie personnelle et familiale épanouie, avec les standards de notre société.

Les patients, qui attendent plus de lisibilité, doivent être informés, de façon compréhensible, sur l'offre médicale de premier recours et sur la coordination des professionnels de santé autour de leurs besoins.

Faire évoluer le paiement à l'acte.
En amont, nous ne pourrons pas faire l'économie d'une réflexion sur l'aménagement du territoire. L'Etat qui supprime de nombreux services publics de proximité ne peut demander aux médecins d'être les seuls survivants de la solidarité nationale, et encore moins faire des jeunes professionnels les victimes expiatoires de réformes que leurs aînés n'ont pas su, collectivement, mettre en oeuvre.

Enfin, le paiement à l'acte, critiqué parce qu'inflationniste, doit évoluer, laissant partiellement la place à des rémunérations au forfait selon certaines pathologies ou pour l'accomplissement de missions de service public. C'est dans ces conditions que la communauté médicale de premier recours, qui ne se résume pas aux jeunes médecins s'installant dans un contexte bien plus contraignant que celui connu par leurs aînés, pourra assumer la mission de solidarité qu'impliquent ses métiers. Et que les patients, craignant la remise en cause d'un système de santé solidaire, pourront continuer à le plébisciter, sans quoi ils s'éléveront eux aussi contre des contraintes inacceptables.

* Président de l'Intersyndicat national des chefs de clinique assistants, président de l'Intersyndicale nationale autonome représentative des internes de médecine générale, président de l'Association nationale des étudiants en médecine de France, président du Syndicat national des jeunes médecins généralistes, porte-parole de l'Intersyndicat national des internes des hôpitaux et président du Collectif interassociatif sur la santé.

Le Quotidien du Médecin du : 08/02/2008