Psychophobie : interview de Scott

Psychophobie : interview de Scott

 

Dans le cadre de notre mois de discriminations en santé, nous allons parler de la psychophobie. Pour cela, nous avons interviewé Scott, un militant trans, handi/fol, et dans le mouvement antipsychiatrie.

 

Comment définirais-tu le mouvement antipsy ? Comment et pourquoi est-il né ? Quelles sont les revendications ?

 

Selon moi, le mouvement de l’antipsychiatrie se divise en deux axes.

Historiquement, la lutte « antipsychiatrique » désigne de base la contestation du système psychiatrique par son personnel, notamment les psychiatres du mouvement désalienniste (mouvement français des années soixante). Aujourd’hui il est utilisé majoritairement pour mettre en lumière les revendications des usager-es de la psychiatrie et de ses survivant-es.

                Pour expliquer comment ce mouvement est né, il faut revenir environ aux années soixante. C’est à cette époque que les premières revendications du personnel psychiatrique ont commencé à émerger, en tout cas dans les sphères anglophones et francophones. Le mouvement des patient-es est plus arrivé dans les années soixante-dix, comme une bonne partie du mouvement anticarcéral (les deux sont souvent mis en parallèle). A cette époque le milieu psychiatrique était encore moins contrôlé qu'à l’heure actuelle (dans le sens « contrôlé/vérifié par des lois, dans le respect de la dignité humaine »). Les abus, comme maintenant à vrai dire, étaient extrêmement fréquents. La violence adressée aux patient-es n’était pas discutée ni remise en question, étant donné que la plupart étaient interné-es de force et que pour la société c’étaient des parias car « malades mentaux ».

Du côté des patient-es, les revendications sont apparues en réponse aux violences commises par le personnel. Le droit à la liberté, au choix pour le soin, et surtout l’arrêt des violences était mis en avant.

Les revendications côté personnel psychiatrique sont variées dans le sens qu’elles viennent de différents courants de pensée. Je pense notamment à E. Fuller Torrey, psychiatre spécialisé dans la schizophrénie, auteur de The Death of Psychiatry (1974). Selon lui, sa discipline était entrain de mourir et que c’était la seule solution pour qu’elle évolue. Il était aussi persuadé que la maladie mentale était quelque chose d’origine physique (alors que les revendications côté survivant-es et usager-es de la psychiatrie sont plus à dire que c’est une catégorisation sociale). Je pense aussi à Thomas Szasz, psychiatre très connu qui est considéré comme une figure de proue de l’antipsychiatrie professionnelle, qui a participé à l’élaboration de l’antipsychiatrie chez les scientologues, et qui avait des positions très libérales sur la psychiatrie, il parlait notamment de la maladie mentale comme étant une condition individuelle.

 

Personnellement quand j’explique l’histoire de l’antipsychiatrie, j’aime apporter le point de vue du personnel, pas forcément pour l’encenser, mais surtout pour comparer et montrer que les revendications sont souvent à mille lieues de ce que les usager-es et les survivant-es veulent.

 

J’ajoute aussi que différentes positions sont présentes chez ces derniers, certain-es étant réformistes, d’autres abolitionnistes sur la question des institutions psychiatriques. Le but est quand même commun : créer des structures nouvelles pour palier à la psychiatrie et faire ce qu’elle ne fait pas : soigner. Après, la composition de ces nouvelles structures diffère encore selon les points de vue (est-ce que ça doit être géré uniquement par les patient-es ? doit-on intégrer dans ces nouveaux endroits des membres du personnel psychiatrique ou médical ?)

Je reviens sur le fait que j’ai dit que la psychiatrie ne soignait pas, déclaration qui peut faire lever des sourcils. En effet, un bon nombre de survivant-es de la psychiatrie et même certain-es membres du personnel psychiatrique considèrent que la psychiatrie n’est pas du soin, mais du contrôle social. Je développe un peu ce point de vue plus tard dans une autre réponse.

 

Tu parles plus haut de la scientologie. La scientologie etant une secte, nous avons été surpris de la voir mentionnée ici. Peux tu nous en dire plus sur la place de la scientologie et les différents courants dans l'antipsychiatrie? Quelle est la place de la scientologie dans tout cela ?

 

Je n'ai pas beaucoup d'informations, mais je pense que ça peut être utile de faire un rappel sur la Scientologie et sur comment elle est considérée (tantôt comme une secte, tantôt comme une religion etc), et par extension sur le libertarianisme et la pensée libérale (philosophique et économique). Tout ça est parfois mentionné lorsqu'on aborde l'antipsychiatrie, surtout côté anglophone, il me semble.

 

Pour la Scientologie, c'est une secte américaine fondée en 1953 par un auteur de science-fiction, basée sur une pseudo-science de son invention, la dianétique. Pour lui c'est une technique de développement personnel. Il vend son premier livre sur ce sujet en 1950, il s'intitule "Dianétique : la Science moderne de la Santé mentale".

On retrouve là un concept très ancré dans la psychiatrie et la société : la santé mentale et son approche par les pseudo-sciences. C'est quelque chose d'arbitraire, défini par des valides et des saints d'esprit, et concrètement un peu une obsession pour les libéraux, mais toujours en opposition avec les besoins des fols. Je pense notamment à l'aide psychologique proposé par Emmanuel Macron, dont, au final, peu de personnes folles pourront bénéficier, car il ne faut pas être trop fou, trop malade mental, pour y avoir droit. C'est clairement un moyen de maintenir les gens dans une bonne "santé mentale" pour qu'ils soient productifs au travail, et donc dans la société capitaliste. C'est d'ailleurs une dichotomie souvent remarquée lorsqu'on essaie de depsychiatriser une catégorie de personnes au détriment d'une autre, faire comme si le malade mental était trop dur à soigner, trop improductif, et surtout, punissable pour sa maladie.

L'obsession des libéraux pour la bonne "santé mentale" trouve aussi contentement dans les techniques de développement personnel, ou le fait de rendre son travail plus "sain" en ajoutant un chat dans les bureaux, ou en faisant des réunions professionnelles en plein footing, et sans adresser de critiques dans la manière dont sont traité-es les travailleur-euses.

 

C'est donc un refus de voir que le problème est systémique, se trouve dans les institutions du système, et une pensée libérale dans le sens où tout problème provient de l'individu. Par exemple, la maladie mentale, la folie, n'est qu'une question individuelle, et non pas un problème avec l'institution psychiatrique et le refus de voir les fols autrement qu'enfermés entre 4 murs, ostracisé'es.

 

Plus que libérale, c'est même le principe de la pensée libertarienne, à laquelle Thomas Szasz appartenait.

Les libertariens prônent la liberté individuelle pour tous, tant bien la liberté du corps (qui est un principe évoqué par l'antipsychiatrie), que la liberté économique (droit de propriété etc). (C'est d'ailleurs pour ça que techniquement le libertarianisme est considéré comme étant à la fois de gauche et de droite, en oubliant que c'est une idéologie qui baigne dans le capitalisme tout de même).

 

Le problème avec l'association de l'antipsychiatrie et de cette doctrine est que les libertariens pensent que tout se régule par le marché économique, et que donc ils ne donnent pas d'alternatives à la psychiatrie.

 

Concernant la création par Thomas Szasz en collaboration avec l'église de Scientologie d'une organisation antipsychiatrique, même s'il ne se revendiquait pas scientologue et n'adhérait pas selon ses dires à leur idéologie, il est quand même important de rappeler que la scientologie est une secte. Cette dernière se faisant passer pour du développement personnel (ce qui n'est pas étonnant, car il y a eu d'autres cas de sectes utilisant ce vernis-là) il est très facile d'appâter des adeptes. Aussi, la CCDH, Commission des Citoyens pour les Droits de l'Homme, l'organisation fondée par Szasz et l'église de Scientologie, recrute souvent des adeptes sans mentionner qu'ils sont un organe de cette dernière, c'est donc une forme d'endoctrinement. C'est peut-être plus difficile de le cacher maintenant à des personnes ayant accès à Internet, et je pense que légalement parlant, ils sont obligés d'afficher maintenant sur leur site leur appartenance à la Scientologie. Puis, comme cette dernière est basée sur une pseudo-science et se veut rattacher à la psychologie, la santé mentale etc, pour moi, elle est bien plus proche d'une psychiatrie dite réformiste, plutôt que d'une position efficace et radicale contre cette institution maltraitance et privative de droits.

 

Je pense que pour conclure, il faut se rappeler que les préoccupations du personnel psychiatrique et celles des usager'es et des survivant'es de la psychiatrie sont fondamentalement différentes, les premières étant plus axées sur une démarche libérale, peu efficace, réformiste, qui consiste surtout à, disons, repeindre la surface des murs des hôpitaux psy en rose, plutôt que de faire du réel changement, et qui est parfois de mauvaise foi (la fameuse disparition de la violence envers les usager'es s'il y'avait plus de moyens). Les revendications des usager'es et survivant'es de la psychiatrie sont nées quant à elle de la nécessité de la reconnaissance des droits des psychiatrisé'es, et des fols en général.

 

On peut se demander dans quelle logique pro-droits des patient'es, il serait bien vu de fonder une organisation avec une secte basée sur un développement personnel et sur de la pseudo-science, et dans quelle mesure on peut accepter que cette organisation soit une sorte de vitrine de l'antipsychiatrie libérale, en prenant en compte que cela vient d'une secte, et que cette dernière ne précise pas toujours qu'elle est derrière tout ça. Je me demande aussi si leur positionnement antipsychiatrie ne viendrait pas du fait que leur doctrine se soit vue qualifiée de pseudo-science à la suite d'une enquête scientifique demandée par l'Association américaine de psychiatrie.

 

Comment est organisé le mouvement de l’antipsychiatrie aujourd’hui ?

 

On ne va pas se mentir, pendant ces dernières années, en tout cas en France, le mouvement s’est extrêmement essoufflé. Il est un peu réapparu, notamment grâce aux réseaux sociaux et à la libération de la parole qui peut s’y trouver. Beaucoup de vieilles organisations ont disparu ou muté (par exemple le GIA (Groupe information asiles, fondé en 1972 en France (1974 en Belgique) sur le modèle du GIP (Groupe information prisons), qui du coup a subi une scission, créant ainsi un autre groupe, le CRPA (Cercle de réflexion et de proposition d’actions sur la psychiatrie). 

Cependant, plusieurs initiatives ont vu le jour dans les années 2000 et 2010, comme le projet Icarus (Icarusproject), lancé aux Etats-Unis en 2002. (Liens à la fin des réponses, le site en français)

Je sais qu’il y’a aussi des projets que beaucoup de gens aimeraient mettre en place, mais le contexte français sur la psychiatrie rend très compliqué tous ces mouvements. En France, la plupart des gens ne sont pas au courant de ce qu’il se passe dans les institutions psychiatriques et médico-sociales, ou mêmes certaines personnes le savent et sont persuadées que c’est mérité, ou que c’est le seul moyen pour gérer les « fous ». C’est peu possible d’avoir des réflexions et des discussions quand on est confronté-es à énormément de psychophobie/de sanisme dans la vie de tous les jours. Les gens traitent de « fous », de « malades mentaux », tous les gens dangereux (exemples : les dirigeants qui font des actes horribles (Trump, Poutine…)), les gens « déviants » (juste faisant parti d’une contreculture par exemple, ou alors les personnes LGBTIA+ (qui, en France, ont longtemps été criminalisées et psychiatrisées en fonction de leur orientation sexuelle et/ou de leur identité de genre (et le sont encore pour certaines)), ou encore les personnes ne se comportant pas de la manière dont on le souhaite (rien que le fait que les féministes soient traitées « d’hystériques », diagnostic inventé pour faire taire les femmes qui s’exprimaient trop selon les représentants du patriarcat). La psychophobie/le sanisme sont énormément ancrés dans le langage et la culture occidentale actuelle.

Sur un autre sujet, il y’a plusieurs associations (de concerné-es) qui, l’année dernière en 2021, ont dénoncé ce qu’il se passe dans les institutions (hôpitaux psychiatriques, mais aussi les lieux gérés par des associations gestionnaires comme des ESAT ou des IME) ce qu’on pourrait rapprocher des mouvements antipsychiatriques, même si c’est juste dans le mouvement antivalidiste en général.

 

Sous quelles formes peut se manifester la psychophobie dans le milieu médical ? Quelles en sont les conséquences ?

 

Je pense que pour répondre à ces questions il faut d’abord expliquer que le milieu médical est un endroit rempli de discriminations et pas que centrées sur les handicapé-es et/ou les fols. Il y’a par exemple beaucoup de cas de refus de soins sur des personnes racisé-es (non blanches) car elles exagéreraient leurs symptômes, ce cas raciste se nommant le "syndrome méditerranéen". Le fait que ce dernier ne soit pas étudié mais simplement une idée qui se transmet entre individus exerçant dans la médecine est un très bon exemple des biais que peuvent avoir le personnel médical et psychiatrique, et aussi de pourquoi les diagnostics en sont remplis. Aussi, beaucoup de femmes et de minorités de genre ont du mal à se faire diagnostiquer, par exemple autiste, les psychiatres préférant se référer à des diagnostics de troubles de la personnalité (TP) (TPB (trouble de la personnalité borderline), TPH (trouble de la personnalité histrionique)…). Dans les refus de soins, il y’a aussi beaucoup de comportements LGBTIAphobes en général, de la sérophobie etc.

 

                La psychophobie du monde médical est donc à rajouter dans ce mélange, sans oublier le validisme (dont la psychophobie fait partie), car beaucoup de professionnel-les de la santé ne se renseignent pas ou peu sur les disciplines qui ne les concernent pas. Pour beaucoup de gens, dont le personnel médical ou psychiatrique, le handicap n’est vu que par le prisme de la médecine (donc comme étant une anormalité, un manque, une différence) alors que pour aider les personnes handicapé-es, il vaut mieux se référer au modèle social du handicap, c’est-à-dire ne pas voir le handicap comme n’étant qu’une anormalité physique ou mentale, mais aussi comme une difficulté liée à l’inaccessibilité que les valides ont construite et maintiennent souvent sciemment. 

 

                La maladie mentale a été longtemps écartée du milieu du handicap et même des luttes, les fols étant juste considéré-es comme des indésirables à cacher. C’est d’ailleurs quelque chose d’assez récurent, quand une catégorie de personnes est dépsychiatrisée, ou en cours de dépsychiatrisation, de s’éloigner des fols avec des phrases instaurant ou solidifiant un rapport de force entre fols et sain-es d’esprits. C’est le fameux moment où par exemple une personne trans va se voir traiter de malade mentale, et justifiera le fait que son interlocuteurice lui doive le respect par « non, mais je suis pas malade mental moi, la transidentité n’est pas une maladie mentale, les trans ne sont pas fous ». Je comprends bien évidemment qu’on ne veuille pas être rabaissé-e, mais ce n’est pas une raison pour jeter les autres sous le bus, surtout les personnes trans qui sont effectivement folles. 

 

                Pour changer de sujet, je souhaite parler d’un autre rapport de force, celui entre les professionnel-les de la santé et les patient-es. Cela vaut à la fois pour le milieu médical et le milieu psychiatrique.

                Beaucoup de professionnel-les de la santé pensent avoir la science infuse de par leurs nombreuses années d’études, mais comme je l’ai dit plus tôt, nombreux sont celleux à ne connaître en réalité que leur discipline (et encore, ils ont souvent des informations erronées quand ils ne se renseignent pas, sans compter les biais racistes, sexistes, LGBTIAphobes, classistes etc). Un certain nombre de médecins et de psychiatres n’aiment pas voir que leurs patient-es s’y connaissent autant si ce n’est plus qu’elleux sur leur condition. Cela peut entraîner une prise en charge extrêmement validiste, et aussi psychophobe/saniste, notamment lorsque nous demandons une adaptation, une aide à la mobilité, un traitement médicamenteux, une prise en charge par un spécialiste, ou que l’on souhaite passer des tests pour un diagnostic.

                Certain-es sont persuadé-es que la solution face au handicap et donc à la folie  est l’éradication ou le contrôle, ce qui est eugéniste. Les handicapé-es sont souvent confronté-es à ce genre de comportements et ce même de la part de leurs médecins généralistes ou spécialistes. Il y a aussi beaucoup de biais de croyances sur les maladies et troubles, et peu de remises en question vis-à-vis des critères de diagnostic, qui diffèrent d’une classification à l’autre. Quelqu’un peut par exemple être considéré comme SEDiste (donc ayant un Syndrome d’Ehlers-Danlos) dans une classification, mais pas dans une autre, ou encore avoir droit à un diagnostic peu fiable et surtout donné pour éviter de diagnostiquer différents troubles qui seraient considérés comme « stigmatisants » car associés au handicap et à l’image que la société validiste en a fait. Je pense au diagnostic HPI (haut potentiel intellectuel), très peu diagnostiqué hors de France, et souvent donné à des personnes qui se révèlent plus tard être autistes et/ou ayant un TDA/H (trouble de l’attention avec/sans hyperactivité).

                La psychophobie, aussi nommée « sanisme » (donc le fait de vouloir rendre les fols « sain-es d’esprit » par tous les moyens), passe comme le validisme tout court, par le recours aux institutions, entre autres : les hôpitaux psychiatriques (HP), les hôpitaux de jour (HDJ), les centres médico-psychologiques (CMP), les établissements ou services d’aide par le travail (ESAT), les instituts médico-éducatifs (IME) etc. Le fait étant qu’enfermé-es et/ou contrôlé-es, les handicapé-es, qu’iels soient fols ou non, ne pourront que peu témoigner des violences qu’iels vivent au quotidien, et devront dans la majeure partie des cas le faire de façon anonyme.

                A l’intérieur de ces institutions, beaucoup de patient-es ne sont pas du tout respecté-es, par exemple au niveau de leur consentement, on les oblige à prendre des médicaments, on les surveille en permanence, on remarque chaque comportement (physique, verbal, esthétique, hygiénique, alimentaire…) et on note ceux qui ne sont pas « normaux », on punit si les patient-es ne veulent pas se soumettre (on peut penser aux chambres d’isolement et à la contention physique ou chimique dans les HP par exemple). La psychophobie, le sanisme, c’est aussi donc faire en sorte que les fols (libres ou psychiatrisé-es/institutionnalisé-es) ne paraissent pas fols, et obéissent à chaque injonction donnée par la psychiatrie (et plus largement par la société). On le voit notamment dans beaucoup de témoignages écrits, comme dans le livre On Our Own (1978) de Judi Chamberlin. Elle raconte son parcours en tant que femme psychiatrisée depuis les années soixante, et avance notamment que la maladie mentale n’est pas une condition médicale mais un jugement social. Ce livre est un des livres les plus connus du mouvement de « psychiatric survivors » (« survivants de la psychiatrie »). C’est notamment Judi Chamberlin qui a inventé la notion de psychophobie/sanisme, sous le terme « mentalism » (rien à voir avec les mentalistes, juste qu’en anglais « mental » est un adjectif se référant à la psychiatrie (« mental patient », « mental hospital ») on pourrait traduire « mental patient » par « psychiatrisé-e » du coup).

 

                Les conséquences de la psychophobie/du sanisme, et plus largement du validisme (et même des autres oppressions citées précédemment), sont tout d’abord le refus de soigner de la part du corps médical (exit donc la psychiatrie car son rôle n’est pas de soigner mais de contrôler), et si soin il y’a, le risque de mal soigner est présent aussi. D’autre part, le sanisme/la psychophobie induit que les fols ne savent pas ce qu’iels veulent, ou ce qui est bon pour elleux. C’est dans ces cas-là qu’on va retrouver le bafouement du consentement des patient-es, par exemple avec la prise de médicaments. Ajoutons à ça que beaucoup de médecins refusent le savoir de leurs patient-es sur leurs propres troubles et maladies, choses qui s’appliquent à tous les handicapé-es et/ou malades chroniques. D’autres médecins auront vite fait d’utiliser leur pouvoir pour montrer qui a la supériorité dans l’échange. Tu peux très bien avoir ton propre avis, une connaissance accrue sur tes troubles, et ne pas vouloir certains traitements, si tu es en position de faiblesse dans le rapport de force ça ne comptera pas. Les psychiatres particulièrement créent eux-mêmes certains symptômes de leurs patient-es, que ce soit par le refus du consentement, en poussant à bout la personne (si elle s’énerve = c’est de sa faute, c’est une personne dangereuse, elle est à punir), par les traitements médicamenteux aussi, ou en créant des crises (paranoïa, crises autistiques etc). De cette manière-là, ils considèrent qu’ils ont raison de se conduire comme ils le font et d’employer la violence.

 

Comment les soignant-es pourraient améliorer leurs pratiques pour rendre les soins plus safe pour les concerné-es ? Pour toi, est-il possible de rendre les soins psy entièrement safe, et si oui, de quelles façons ? Quelles sont les mesures qui pourraient permettre d’améliorer la prise en charge des patient-es, et notamment dans la formation des futur-es soignant-es ?

 

De mon point de vue, c’est impossible de rendre ces soins safe sans abolir le système psychiatrique. Tout d’abord car comme je l’ai dit la psychiatrie (malgré le bon vouloir de certain-es dans son personnel, j’en suis sûr) n’a pas comme but de soigner mais d’établir un contrôle social. Et ensuite, car on le voit assez régulièrement, et pas que dans ce domaine, les réformes, aussi progressistes qu’elles soient, ne sont jamais là pour changer un système dont la base est l’oppression, sans compter que ces réformes sont toutes faites par des politicien-nes sans même l’aval du personnel, et encore moins celui des personnes que ça concerne le plus (psychiatrisé-es, mais aussi patient-es en psychiatrie libérale, en médecine, même encore : les prisonniers et toutes les personnes étant dans des lieux d’enfermement). Aussi, la psychiatrie est un domaine lucratif, que ce soit pour certains membres du personnel, mais surtout pour les dirigeant-es des associations gestionnaires qui s’occupent des endroits (cliniques, IME, HDJ…). Dans l’intérêt surtout de ces dirigean-es puis des membres du personnel psychiatrique qui commencent à y trouver une (très bonne) source de revenus, il n’est pas envisageable pour eux de faire en sorte que les patient-es aillent mieux (que ce soit par des réformes ou par l’abolition de la psychiatrie), car un patient qui va mieux, c’est un client en moins pour eux.

N’oublions pas que c’est aussi un domaine sur lequel il est fréquent que les politicien-nes fassent des économies. Déjà du côté de l’hôpital public que les derniers gouvernements se sont bien amusés à saccager, mais aussi par rapport à comment sont montrées les institutions et comment elles sont mises en avant. Les IME par exemple sont montrés comme la solution contre l’exclusion à l’école des enfants handicapés, mais déjà il n’y a que peu de places, puis la logique des politicien-nes, qui dans ce cas là travaillent main dans la main avec les associations gestionnaires, n’est pas très évoluée, dans le sens que l’exclusion dans ce cas n’est pas faite par un manque de formation du personnel pédagogique dans le milieu scolaire ordinaire, mais par le fait de séparer les enfants handicapés des enfants valides. Je m’égare, mais c’est important pour moi d’en parler.

 

                Je rajoute aussi qu’il est plus facile de rentrer dans une institution que d’en sortir, que ce soit dans un HP, un IME, ou dans des structures comme les foyers protégés.

                En dehors de mon avis sur les réformes et l’abolition de la psychiatrie, qui est un projet à moyen terme (même si on aimerait bien que ça se fasse vite), je pense qu’il est possible d’améliorer un minimum les soins. Notamment, en arrêtant de penser que mettre « thérapeutique » après chaque nom d’activités en fait de la médecine ou même quelque chose d’utile pour les patient-es. Des HDJ ou des HP par exemple adorent parler de « repas thérapeutique », de « sortie thérapeutique » etc sans vraiment s’occuper des patient-es (c’est pratique de dire aux gens de se concentrer sur une activité, toujours la même, en la qualifiant de thérapeutique, ça n’oblige pas à se creuser la tête pour trouver quoi faire ou même s’entêter à connaître les désirs et les passions des gens dont on s’occupe).

                Pour améliorer les soins en institutions, il faudrait faire en sorte d’inclure les patient-es dans les décisions (quelles activités, quels sujets à faire ou aborder lors des groupes de parole ? quel film aller voir lors de la sortie ciné ? quel endroit visiter ? quel but à atteindre lors de l’activité artistique, sportive « thérapeutique » ?). Ne plus donc décider seulement entre membres de l’équipe professionnelle.

                Individuellement, je pense que les soignant-es peuvent faire changer (un peu) les choses en admettant ne pas tout savoir (et que même parfois iels en savent moins que certain-es patient-es car iels ne sont pas assez formé-es, ou de manière erronée, sur un ou des sujets). Se renseigner régulièrement, par le biais d’associations (de patient-es, donc par et pour le public ciblé) et par le biais de quelques sources professionnelles, peut aussi aider à mieux aborder les différents profils qu’iels vont rencontrer. Je rajoute qu’il est pour moi aussi primordial d’acquérir des connaissances peut-être sociologiques, mais en tout cas sur comment désamorcer les biais construits par la société ou le milieu dans lequel nous évoluons. C’est aussi un moyen d’affirmer ne pas tout savoir, et que les autres personnes ne faisant pas partie du système médical ou psychiatrique ont aussi des choses à apporter qui ne seront pas forcément dans les manuels ou les cours qu’ils ont eu y’a 5, 10, 30 ans.

En dernier, lire de la littérature produite par des survivant-es de la psychiatrie sur le sujet, ou aussi globalement du contenu créé par des personnes handicapées et/ou malades chroniques peut sincèrement aider à mieux comprendre les positionnements sur les institutions et sur le système, ainsi que les craintes qui habitent les malades, les psychiatrisé-es etc, notamment lorsque nous nous retrouvons face à un médecin ou un-e infirmier-e ou un-e psychiatre que nous n’avons jamais vu. C’est important pour comprendre comment fonctionne la psychiatrie et comment elle impacte les gens qui la subissent. 

Je pense que ces conseils sont applicables au personnel psychiatrique, tout comme aux médecins, aux infirmiers en institution ou dans le domaine libéral.

 

 

 

Aurais-tu des ouvrages, des vidéos, des témoignages… à conseiller aux soignant-es qui s’intéressent à ce sujet ?

J’ai créé un Google Drive (lien à la fin des réponses) regroupant majoritairement des PDF de textes, brochures, zine, en français et en anglais, et même un scan du livre On Our Own (1978) de Judi Chamberlin en coréen. Il y’a un document sur la traduction de ce dernier livre en français, traduction faite par un-e ami-e en bénévole. Sur le drive, il y’a aussi un document participatif avec quelques liens (sites, vidéos YouTube…) pouvant être utiles.

                Le site zinzinzine.net recense énormément de ressources sur la folie et la psychiatrie, c’est une véritable mine d’or. Sur ce site il y’a le lien d’une dropbox avec énormément de contenu dans plusieurs langues.

 

                Je pense aussi au zine qu’a fait l’artiste Freaks, nommé « Inadapté’e’s – Une folle histoire de l’antipsychiatrie » (lien à la fin des questions), qui revient de manière très condensée sur donc l’histoire de l’antipsychiatrie, et donne des liens de comptes à suivre sur les réseaux sociaux et de sites etc.

                Je nommerai le compte Twitter @MadFreaksPride qui est très intéressant et qui je pense est d’utilité publique concernant cette question.

                Je voudrais aussi mentionner le documentaire Netflix Crip Camp (en français, son sous-titre est La révolution des éclopés). C’est un documentaire très bien et intéressant sur comment se sont formées les luttes handicapées dans les années soixante-dix.

                

 

LIENS UTILES

 

Le Projet Icarus :

-          https://icarus.poivron.org/projet-icarus/ Site français

Zinzinzine :

-          https://www.zinzinzine.net/

Le zine de Freaks : Inadapté’e’s – Une folle histoire de l’antipsychiatrie :

-          https://www.freaks-illustrations.fr/inadapt%C3%A9-e-s-une-folle-histoire

Lien vers Crip Camp sur YouTube :

-          https://www.youtube.com/watch?v=OFS8SpwioZ4

Mad Drive :

-          https://drive.google.com/drive/u/4/folders/122cDsDgZj3qkyakmxfkl6oKI6of-jWuv