Interview Elisa Rojas sur le validisme dans le soin.

Interview Elisa Rojas sur le validisme dans le soin.

 

Nous avons interviewé Élisa Rojas, Avocate au Barreau de Paris et militante, Autrice de « Mister T & moi » Editions Marabout et du blog auxmarchesdupalais.wordpress.com.

Voici ses réponses :


- Quelles sont les principales difficultés administratives à la reconnaissance du handicap et/ou aux aides financières et sociales qui lui sont rattachées ? (MDPH AAH PCH RTQH)

 

L’accès aux aides est complexe et long. La grande majorité des personnes handicapées vivent dans un imbroglio administratif constant, absurde et sans fin, dans lequel on leur demande de justifier sans cesse leurs problèmes de santé et leur handicap pour bénéficier de la moindre aide qu’elle soit financière, technique ou humaine. Tout ce qui touche à ces démarches administratives constituent une très grande source d’inquiétude et une charge mentale pesante pour elles, d’autant que l’instruction des dossiers par les diverses administrations (CPAM, CRAMIF, MDPH etc.) reposent sur l’intrusion, la déshumanisation, la suspicion et le contrôle. Tout est conçu pour les épuiser, les mettre en porte à faux et les pousser à l’erreur.

 

Dans l’élaboration du dossier, le médecin est souvent appelé à jouer un rôle central, je dirais même fondamental. Devant le MDPH, par exemple, le certificat médical que le médecin doit remplir est une pièce déterminante. Les médecins rechignent souvent à remplir ce certificat. Ils n’aiment pas la paperasse et considèrent parfois que cela ne rentre pas totalement dans leurs attributions. Je peux le comprendre dans une certaine mesure, surtout que le formulaire en cause est long, abscons, et piégeux. Malheureusement, il faut s’y coller sérieusement parce que c’est à partir des éléments mentionnés dans ce certificat que tout va se jouer. S’il n’est pas rempli correctement, il permettra aux services de la MDPH de refuser la reconnaissance du handicap et l’aide demandée. En tant qu’avocate ayant eu à connaître des affaires liées aux décisions défavorables rendues par les MDPH, je peux vous assurer que systématiquement l’origine du problème se trouve dans la façon dont ce certificat médical initial a été renseigné. Lorsqu’il n’a pas été établi avec suffisamment de soins, il est très difficile de rattraper le coup devant le juge et d’obtenir gain de cause.

 

Pour obtenir l’aide sollicitée, le médecin doit indiquer dans ce certificat destiné à la MDPH l’ensemble des problèmes de santé de la personne concernée (qui doivent tous si possible être documentés par un examen récent), mais il faut aussi préciser de façon détaillée les répercussions négatives de ces problèmes de santé sur sa vie quotidienne et sur sa vie professionnelle, en étant attentif à la cohérence de l’ensemble. Il faut se concentrer sur la description des incapacités car c’est ce à quoi la MDPH s’intéresse avant toutes choses pour prendre sa décision.


- A quelles difficultés d'accès aux soins sont confrontées les personnes handi-es ? (Tel que l'accès des cabinets et hôpitaux aux PMR, l'absence de lieu de vie pour les aidant-es dans les hôpitaux, l'absence de chambre et matériels, lits adaptés aux PMR)

 

Globalement, je dirais que les difficultés sont principalement de deux ordres. Il y a d’abord les difficultés matérielles et notamment d’accessibilité des lieux de soins, des cabinets médicaux libéraux comme des hôpitaux qui ne sont pas toujours aussi accessibles que l’on pourrait le croire. L’inadaptation du matériel aussi est un problème important et empêche parfois la réalisation de certains examens. Il y a ensuite des difficultés liées au comportement de certains médecins, à leur manque d’expérience et/ou de formation et d’information sur le handicap. La précarité financière d’une grande partie des personnes handicapées joue également son rôle et représente une barrière supplémentaire.

 

Comme plusieurs rapports l’ont démontré, et contrairement à ce que l’on pourrait penser, les personnes handicapées ne sont pas bien suivies médicalement, même celles qui ont été « médicalisées » très tôt ou toute leur vie, qui vivent ou ont vécu en institutions, non seulement en raison des difficultés précédemment mentionnées mais aussi du fait du fonctionnement même de la médecine. Lorsque vous avez une maladie congénitale par exemple, vous pouvez être suivi de près pour tout ce qui est lié à cette pathologie et ses conséquences mais le reste passera sous les radars. Les médecins vont se concentrer sur les parties de votre corps concernées, en oubliant que vous pouvez avoir des problèmes de santé autres non directement liés à votre pathologie « de base » mais qui pourtant doivent être traités et parfois en tenant compte de cette pathologie. Sans compter que la spécialisation de la médecine par « organes » rend très difficile le diagnostic des maladies pour lesquelles il n’est pas possible de raisonner de façon aussi « cloisonnée » parce qu’elles ont des implications multiples et transversales.


- Le validisme n'est pas rare dans le milieu médical et passe notamment par l'infantilisation des handi-es. Avez-vous des exemples que l'on vous a rapportés ?
 

En effet, le validisme, c’est-à-dire le système d’oppression qui fait de la personne valide et en bonne santé la norme et l’idéal à atteindre, est très présent dans le milieu médical, ce qui est assez logique puisque la médecine repose sur l’idée qu’elle est là pour guérir ou réparer les malades, ce que certains professionnels interprètent comme rendre – à tout prix – le plus proche possible de la norme, soit du corps valide. Or, l’enjeu n’est pas forcément aussi simpliste. Le bien-être, la qualité de vie n’est pas nécessairement corrélée à un corps « valide » ou « sain » au sens strict, au sens où l’entend la médecine. Il faut faire la part des choses et ne pas projeter cet « idéal » qui est construit socialement sans discernement.

 

Je n’ai pas tellement besoin que l’on me rapporte des exemples précis de validisme, même si cela est toujours intéressant, puisque je suis handicapée moi-même depuis ma naissance, en l’occurrence en fauteuil roulant. J’ai vécu et je vis toujours personnellement ce validisme du milieu médical. Il se manifeste, c’est vrai, par une infantilisation, des attitudes condescendantes, une absence de respect du consentement, une absence d’écoute, des présupposés sur vos capacités ou votre mode de vie, bref, une tendance certaine à vous considérer davantage comme un objet de soins, que comme une personne, un sujet avec un parcours, une expertise, des craintes et des attentes. Ce validisme entraîne des maltraitances graves qui sont très préjudiciables et peuvent conduire à une perte de confiance envers le personnel médical et à des ruptures de soins.

 

Les médecins ont souvent tendance à penser qu’ils sont les seuls experts valables dans leur champ d’action. Or, s’il est vrai qu’ils détiennent des connaissances et des compétences indispensables, les patients, les malades, les personnes handicapées ont également une expertise en la matière qu’il est impératif de prendre en compte dans la relation de soin pour qu’elle soit de qualité et humaine. Le patient ne doit pas subir le processus quel qu’il soit, il doit y adhérer et pour cela il doit pouvoir être impliqué pleinement toutes les fois que cela est possible.

 

Comme les avocats, les médecins exercent un métier qui comporte un aspect technique et un aspect humain. Vous pouvez être le meilleur des techniciens dans votre domaine, mais si vous ne saisissez pas l’aspect humain de votre pratique, êtes-vous véritablement un bon professionnel ? C’est une question à se poser. J’aurais tendance à répondre non. Si vous ne faites pas preuve d’empathie, si vous n’écoutez pas la personne qui vient vous voir, si vous n’êtes pas capable de vous adapter, de faire preuve de pédagogie, d’humilité aussi et de comprendre par exemple, que telle est ou telle stratégie ou protocole de soins peut être adapté à une personne mais pas du tout à une autre, vous n’êtes pas un bon professionnel. C’est valable à mon sens aussi bien pour un médecin que pour un avocat.

 

- Ces dernières années, le droit à la PMA s'est élargi. Or, l'accès à la PMA est loin d'être simple, et notamment en tant que personnes handies. En quoi le validisme dans le soin freine l'accès à la PMA ?

 

Je ne peux malheureusement pas répondre à cette question car je ne maîtrise pas suffisamment ce sujet mais je ne serais pas étonnée que son accès soit plus difficile pour les personnes handicapées. Le validisme est présent dans chaque aspect, à chaque étape du cheminement des personnes concernées quel que soit le sujet.

 

- En quoi la pandémie COVID a entraîné et entraîne encore une exclusion des personnes handies? (Levée des gestes barrières, et notamment des masques dans les lieux publics y compris dans les lieux de soins, l'absence des purificateurs d'air, etc....)

 

La levée des mesures sanitaires de prévention du Covid telles que le port du masque, associée à l’absence de mesures pour améliorer la qualité de l’air, dans les lieux de soins est une véritable catastrophe non seulement pour les personnes malades et/ou handicapées, qui sont un peu plus à risques que la moyenne face au virus, mais aussi pour la santé de tous car le Covid concerne en réalité tout le monde.

 

Désormais les lieux de soins, les cabinets médicaux, les hôpitaux sont devenus dangereux à fréquenter. Il est parfaitement anormal que les patients aient à se soigner en prenant le risque d’être infectés ou réinfectés par le Covid et de voir leur état général se dégrader, alors que cela pourrait parfaitement être évité. Encore une fois, les personnes handicapées et/ou malades, déjà entravées dans leur accès aux soins, vont être exclues, contraintes de renoncer à certains soins ou suivi, et vont se retrouver en rupture de soins. Les conséquences risquent d’être désastreuses.

 

Par ailleurs, les conséquences délétères du Covid sont de plus en plus documentées, le mode de contamination est connu (l’aérosolisation) et les moyens de réduction des risques et de prévention le sont également (vaccination, masques ffp2 et purificateurs d’air). Par conséquent, je ne vous cache pas que je suis effrayée, pour ma part, par le degré de désinformation de certains médecins à cet égard. Lorsque je vois des dentistes, par exemple, porter de simples masques chirurgicaux à l’hôpital et considérer sérieusement que cela suffit à se protéger eux-mêmes et à protéger leurs patients, la situation me paraît ubuesque. Ne parlons même pas des soignants qui ne veulent pas se vacciner contre le Covid…

 

Il est urgent que les professions médicales exigent avec les patients le retour du port du masque dans les lieux de soins et de toutes les mesures de prévention efficaces, parmi lesquelles évidemment l’investissement massif dans des purificateurs d’air dans les hôpitaux.