Forfait urgences : ne nous trompons pas d'ennemi !

 

La mise en place du forfait urgence est actée : désormais, toute consultation aux urgences non suivie d’une hospitalisation  débouchera sur le paiement d’un forfait fixe qui remplacera le ticket modérateur actuel, variable et dont les malades chroniques étaient exonérés.

Il est vrai que cette mesure ne changera pas grand-chose pour une partie de la population disposant d’une couverture mutuelle qui le prendra en charge. Les plus favorisés peuvent dormir tranquille.  Cependant, pour une partie non négligeable de la population ne disposant pas d’une mutuelle, cette mesure va décourager l’accès au soin et avoir des conséquences graves sur leur santé. (1)

Le rapport sur l’accès au soin de Médecins du Monde est accablant (2): les besoins explosent d'année en année, et parmi les 23 712 personnes ayant consulté en 2019, 46,8% présentaient un retard de recours au soin. Malgré l’existence en France, en théorie, d’une couverture maladie pour les plus précaires, sur le papier, le non-recours est la règle. Près de 88,7% des personnes reçues par médecins du monde ayant normalement droit à une couverture maladie n’y ont pas accès.

Au-delà des conséquences sanitaires dramatiques de cette mesure, nous la dénonçons comme un pas supplémentaire vers une privatisation de notre protection sociale. Comme l’a écrit un collectif de plusieurs associations « La mesure revient (…) à faire payer pour leurs soins des personnes vivant avec une pathologie grave, à les désigner comme responsables du « trou de la Sécurité sociale », Sécurité sociale dont le principe fondateur de solidarité est une fois de plus attaqué. » (3). Nous partageons ce constat. Cette mesure entérine l’idée que les consultations aux urgences seraient déraisonnables, irrationnelles, abusives et que leur facturation permettrait de les décourager. Or l’idée même de considérer que des usager·es prennent plaisir à « visiter » les urgences est en soi une aberration.

Nous avons, nous, médecins, une responsabilité dans ce démantèlement de l’accès au soin : certains médecins, lors de prises de paroles médiatiques, sur les réseaux sociaux, diffusent activement ce mythe de l’illégitimité de la consultation aux urgences, de la « bobologie », de « consultations abusives ». La figure du « patient qui abuse » peut nous apparaître comme un coupable tout désigné.

Et cela est compréhensible. Nous sommes épuisés, découragés, frustrés par un système nous mettant sans cesse en échec dans notre engagement à défendre un soin de qualité. Face aux difficultés que nous rencontrons à l’hôpital où les effectifs sont sciemment réduits jusqu’à nous pousser au burn-out, face à notre épuisement en médecine de ville où le paiement à l’acte et le manque de soignant.es nous impose un rythme de travail aliénant, nous avons besoin de trouver un coupable. Et petit à petit, malgré nous, nous en venons à défendre des mesures de restrictions d’accès au soin, de culpabilisation des usager·es, de démantèlement de la sécurité sociale.

Mais nous nous trompons d'ennemi.

Les urgences font les frais d'une politique de démantèlement progressif de la santé sur le territoire. Ce n’est pas en écartant encore plus les usager·es du soin que nous sauverons le système de santé : personne ne visite les urgences par plaisir. Ne soyons pas complices d’un système qui nous utilise comme des pions pour dérouler son agenda néolibéral.

Le coupable, nous le connaissons toutes et tous.

Tandis qu’on nous parle de « crise » et qu’on nous demande sans cesse de faire des efforts, les entreprises pharmaceutiques font des profits record. Les grands groupes du secteur du grand âge ne se sont jamais aussi bien portés. Les cliniques privées se développent à vitesse grand V. Depuis des années, la santé devient peu à peu subordonnée à sa rentabilité. La privatisation du système de santé est en marche.

Nous voulons des soins de proximité permettant un accès inconditionnel pour toutes et tous. Nous voulons des urgences publiques avec du personnel et des moyens suffisants. Nous voulons élargir le périmètre de la protection sociale. Nous ne voulons pas, en revanche, de cette mesure écartant les usager·es du soin. Nous vous invitions à signer la pétition lancée par la CGT s'opposant à cette mesure:

https://www.cgt.fr/petition/non-au-forfait-urgences

 

Contact SNJMG : presidence@snjmg.org - 07.61.99.39.22

 

(1) https://www.humanite.fr/securite-sociale-les-patients-obliges-de-payer-des-2021-pour-aller-aux-urgences-694359

(2) https://www.medecinsdumonde.org/fr/actualites/publications/2020/10/14/synthese-de-lobservatoire-de-lacces-aux-droits-et-aux-soins-2019

(3) https://blogs.mediapart.fr/edition/transparence-dans-les-politiques-du-medicament/article/191020/plfss-2021-les-urgences-sont-publiques-et-doivent-le