Bon sens !!

02/10/2007 La Croix

<<On ne forcera jamais un médecin à s'installer là où il ne veut pas
aller>>

Pour l'ancien directeur des hôpitaux, limiter la liberté
d'installation ne permettra pas de réduire les disparités
géographiques

La Croix : Face à la pénurie, est-il devenu aujourd'hui indispensable
de limiter la liberté d'installation des médecins généralistes ?
Jean De Kervasdoué : C'est typiquement une fausse bonne idée. D'abord
parce qu'il n'y a pas vraiment de pénurie. La France a la plus forte
densité de médecins de son histoire et du monde. C'est vrai qu'ils
sont plus nombreux dans les villes de faculté de médecine et aux
alentours.

Ailleurs, il n'y a pas beaucoup de médecins mais il n'y a pas non plus beaucoup de
patients. C'est la conséquence du mouvement de désertification que
connaissent les zones rurales. Mais il y a aussi un déséquilibre
structurel lié à l'organisation des facultés de médecine qui remonte à
des temps très anciens, et qui fait qu'il y a plus de facultés dans le
sud que dans le nord de la France. Au fond, la carte d'implantation
des médecins, en pourcentage relatif, n'est pas très éloignée
aujourd'hui de celle de 1900.

Doit-on néanmoins, comme le suggère le chef de l'État, empêcher les
médecins de s'installer dans les zones où ils sont déjà trop
nombreux ?
Je ne crois pas à ce type de mesures. Non pas parce qu'il s'agirait de
défendre le sacro-saint principe de la liberté d'installation comme le
font les syndicats de médecins, empruntant un discours de combat
totalement dépassé qui remonte aux années 1930, mais par pragmatisme.
C'est une mesure qui ne marche pas. Il existe déjà un numerus clausus
à l'installation pour les pharmacies depuis 1941 et je ne sache pas
que cela ait abouti à un quelconque rééquilibrage territorial dans
leur implantation.

Par ailleurs, cette mesure existe en Allemagne et l'expérience a
montré qu'elle ne permettait pas de réduire les inégalités. Quand un
médecin ne peut pas s'installer dans la région où il le désire, il
travaille quelques années à l'hôpital en attendant de pouvoir le
faire. À moins d'être dans un système de planification totalitaire, on
ne pourra jamais forcer quelqu'un à s'installer là où il ne veut pas
aller. C'est une mesure qui, à mon sens, comporte plus d'inconvénients
que d'avantages.

Lesquels ?
Cela risque de détourner encore plus les étudiants de la médecine
générale. Or la question cruciale aujourd'hui, c'est celle-là.
Actuellement, les étudiants préfèrent redoubler pour pouvoir faire une
spécialité plutôt que devenir généralistes. On ne pourra régler le
problème du nombre global de médecins généralistes que si on leur
accorde la même rémunération que les spécialistes. Un mouvement de
convergence avait été amorcé, qui a été interrompu. La différence est
aujourd'hui d'autant moins justifiée que le nombre d'années d'études
est le même.

Comment expliquer que les primes à l'installation pour attirer les
médecins dans les régions désertées n'aient pas fonctionné ?
Parce que ce n'est pas une question de rémunération. Les médecins qui
exercent dans ces zones gagnent plutôt mieux leur vie qu'ailleurs.
C'est moins une question de revenus que de conditions de travail.
Pourquoi ne pas imaginer, comme en Angleterre ou en Irlande, des
cabinets groupés avec un dentiste, une infirmière, un kiné...

Il faut avoir de l'imagination, être positif, plutôt que d'imaginer
des mesures contraignantes. D'autant que dans la hiérarchie des
problèmes de notre système de santé, il y a des questions à mon sens
plus importantes à régler que celles-là.

À quoi pensez-vous ?
À la place du généraliste dans le système de soins, à sa rémunération,
qui ne doit pas être forcément et entièrement liée à l'acte, à
l'exercice de groupe. La profession de généraliste est dévalorisée en
partie parce que la réforme de 2004, malgré l'instauration du médecin
traitant, a été incapable d'aller jusqu'au bout dans la définition du
rôle du médecin généraliste. Et que l'ensemble des cliniciens
(généralistes pédiatres, psychiatres...) continuent à être moins bien
rémunérés que les spécialités techniques.

Je regrette la myopie budgétaire des gouvernements successifs. Il y a
depuis toujours sur ces sujets une très mauvaise compréhension de la
classe politique, soit parce qu'elle est sensible au discours
corporatiste de la profession, soit par méconnaissance de ce secteur.

RECUEILLI PAR CÉLINE ROUDEN