Santé communautaire : Interview de Stuart, membre bénévole d’Acceptess-T au sein du pôle recherche et évaluation

Santé communautaire : Interview de Stuart, membre bénévole d’Acceptess-T au sein du pôle recherche et évaluation

 

Nous souhaitons parler de santé communautaire, sujet qui nous paraît primordial dans le secteur de la santé aujourd’hui.

Dans ce cadre, nous avons réalisé une interview de Stuart, membre bénévole d’Acceptess-T au sein du pôle recherche et évaluation, et masterant en santé publique.

Acceptess-T est une association de santé communautaire Trans et Féministe créée en 2010 afin de lutter pour la défense des droits des personnes transgenres les plus précarisées par l’intersectionnalité et contre les discriminations liées à la transphobie, à la sérophobie, à la putophobie.

La santé communautaire est une réponse des personnes concernées par et pour celles-ci à des manquements de notre système de soin.

Nous avons posé quelques questions à Stuart que nous vous invitons à lire.

 

- Comment définirais-tu la santé communautaire ?

Depuis mon point d’ancrage, en tant que membre bénévole d’Acceptess-T, lorsque j’utilise le terme de santé communautaire, je parle de la réappropriation, par les personnes concernées de leur propre parcours de vie en acquérant collectivement un pouvoir d’agir sur leur santé globale (au sens où l’entend l’OMS) : trop souvent les politiques publiques laissent dans l’angle mort de leurs actions les populations les plus vulnérabilisées et les plus exposées aux inégalités ; j’ai déjà pu entendre, de la part de certains professionnels de santé, que la santé communautaire ne s’apparente pas à une démarche de démocratie en santé car elle ne concerne « que » des publics minorisés, et non pas le plus grand nombre… Or c’est bien cela, la santé communautaire: des réponses aux lacunes et aux discriminations engendrées tant par les œillères des politiques publiques que par les représentations biomédicales, morales et culturelles ; reconstruire des espaces de prendre soin, d’accès à l’information et à ses droits fondamentaux, de partage des savoirs issus de l’expérience pour gagner en autonomisation et améliorer la qualité de vie. Des lieux de lien et de mobilisation pour changer les pratiques discriminantes et transformer l’existant. En ce sens, il n’est pas possible d’envisager des politiques de santé publique répondant pleinement aux enjeux de la démocratie en santé sans les acteurs de la santé communautaire, qui d’ores et déjà jettent des passerelles et tissent des réseaux avec l’ensemble des acteurs locaux, des administrations, des établissements de soin, des professionnels de santé. Chez Acceptess-T, Simon Jutant, chargé de plaidoyer et du Pôle recherche et évaluation, évoque souvent la santé populationnelle comme mode d’articulation. Et en même temps, j’aime toujours citer cet extrait d’un entretien avec Giovanna Rincon pour le rapport 2020 VIH Hépatite de AIDES : « Évidemment nous restons dans une position critique et militante avant de devenir un prestataire de service des pouvoirs publics. »

 

- Quelles sont les approches de santé communautaire sur lesquelles tu travailles ?

J’ai commencé mon master en santé publique en 2020, au Laboratoire des Educations et Promotion de la Santé de Paris 13, et j’ai effectué mon stage de M1 chez Acceptess-T. En tant que personne transmasc, il n’y avait pas de hasard. Je suis aujourd’hui membre bénévole de l’association, toujours au sein du pôle Recherche et évaluation qui m’a accueilli en 2021. Nous y travaillons pour partie à la valorisation scientifique des actions de terrain d’Acceptess-T : faire en sorte que ces réalités et ces savoirs soient documentés et accessibles mais également « reconnus », en employant les codes de la recherche universitaire, est un enjeu majeur. Et difficile : rendre « scientifiquement » visible la connaissance nécessite des moyens humains, du temps, des diplômes aussi : autant de barrières qui tendent à cantonner les savoirs communautaires au rang de « littérature grise » ou de savoirs assujettis, dixit Foucault, du point de vue des normes régissant les savoirs académiques. Bref, j’essaie au travers de mon ancrage associatif et de mes études en santé publique de contribuer à valoriser l’apport des savoirs et pratiques communautaires dans la conception des politiques de santé publique, de plus en plus structurées par le numérique et les indicateurs de mesure de la qualité des soins. Autant d’instruments et d’outils qui, comme tous les instruments et tous les outils, sont loin d’être neutres et nécessitent d’être pensés avec les publics concernés, et déployés avec les publics concernés – la base de la promotion de la santé, en somme - afin d’éviter d’accroitre les ruptures d’égalité dans l’accès aux soins et les injustices épistémiques. Quoi de pire qu’une démarche d’amélioration de la qualité des parcours de soins qui produirait plus de mal être et d’injustice sociale qu’elle n’apporterait de santé, toujours au sens global du terme ? En cette époque d’hypernumérisation de la santé et d’hyper-qualité, où les sujets de l’engagement patient et de la démocratie en santé sont dans toutes les communications, il me paraît indispensable de savoir de quoi on parle, de qui on parle, de s’interroger sur le sens des mots que l’on emploie, de leur signification pour les personnes, du point de vue et du vécu depuis lesquels on prend la parole, de qui fait et d’avec qui on fait, avec quelles finalités. Et l’approche communautaire en santé en ce sens m’apparaît comme indispensable : faite par et avec les concernées pour apporter « le bon soin au bon endroit au bon moment » et, ajouterais-je, de la bonne manière, dans le respect des personnes, de leurs droits fondamentaux et dans une perspective d’autonomisation.

 

- Aurais-tu des exemples d'initiatives ?

Je pense à un article que nous venons de rendre, et qui illustre la manière dont Acceptess-T s’est emparé de divers outils numériques, de manière complètement détournée et dans une approche de réduction des risques, pour préserver et renforcer les liens sociaux pendant les périodes de confinement, et ainsi maintenir l’accès à la prévention et aux soins. Globalement, c’est un article qui illustre la capacité d’adaptation, d’innovation et d’action dans des délais très courts des assos communautaires, de par leur proximité des personnes et leur présence constante sur le terrain.

 

Je pense également à contrario à Mon Espace Santé, ce nouveau DMP qui doit équiper l’ensemble de la population d’ici avril. Le déploiement est d’ores et déjà en œuvre et nous avons littéralement dû aller chercher l’information, solliciter à plusieurs reprises des rendez-vous auprès des différentes instances pour connaître le fonctionnement du dispositif alors même que les risques en matière de rupture d’égalité dans l’accès aux soins sont réels pour les populations en situation de vulnérabilité du fait de leur parcours de santé – personnes trans, personnes séropositives au VIH, personnes avec un parcours en psychiatrie... Et dans ces conditions, comment accompagner, comment rassurer, comment agir, comment avoir, tout simplement, confiance ? Comment, dans ces conditions, imaginer que les personnes puissent devenir « actrices de leur santé », comme le scandent les instances gouvernementales ?

 

- Comment les soignant.e.s pourraient améliorer leurs pratiques pour rendre les soins plus « safes » pour les concerné.e.s ?

En s’organisant en communautés de pratiques en co-gouvernance (je pense ici très concrètement au ReST), en allant se former auprès des associations, en cultivant le partenariat dans la relation de soin ?

Voici le lien du site de réseau de santé trans que nous vous conseillons de consulter  https://reseausantetrans.fr/