Malades chroniques : entre validisme, droits bafoués, obstacles administratifs et errance médicale

Malades chroniques : entre validisme, droits bafoués, obstacles administratifs et errance médicale

 

Les malades chroniques sont confrontés à divers obstacles au cours de leur parcours de santé. Il existe de nombreux enjeux, tels que le consentement, le libre choix éclairé, l’impact sur leur vie quotidienne, les obstacles administratifs, les problématiques financières, l’errance médicale et les différentes problématiques autour du suivi.

Vous trouverez ici cet article en PDF : https://discordapp.com/channels/755902622128406709/971309220517539871/1006903002680004768

 

I. Consentement et décisions sur sa propre santé 

 

1. Le consentement

 

Les droits des malades sont souvent bafoués au sein du système de soins où le-a patient-e est souvent  envoyé-e d'un service à l'autre sans même parfois que son consentement soit pris en compte dans la prise des RDV hospitaliers. Iel est simplement informé-e de l'endroit où iel doit se rendre qu'iel soit d'accord ou non.

 

Il en est de même pour les examens cliniques et paracliniques où les injonctions sont nombreuses "je vais vous examiner" "je vais vous prévoir tel examen" quand normalement les soins devraient être prodigués POUR et AVEC le-a patient-e et avec son accord explicite. 

 

Le consentement sur l'accès aux informations médicales est également souvent bafoué. On peut parler des problématiques des systèmes en réseau (on pense notamment à Orbis à l'AP HP) qui vont révéler automatiquement votre "pedigree" sur plusieurs années. De même, des inquiétudes ont été soulevées à juste titre sur la centralisation via Mon Espace Santé. En effet il existe des options pour masquer certains documents ou au contraire les afficher à toustes mais encore faut-il qu'elles soient connues des patient-es mais aussi surtout des soignant-es qui devront intégrer ces données au dossier UNIQUEMENT avec le consentement des patient-es et en leur demandant expressément s'iels souhaitent un accès partiel ou total. 

Une autre inquiétude concernant Mon Espace Santé concerne les contrôles des accès au dossier, quand on sait que déjà des patient-es se retrouvent avec une déclaration d'un nouveau médecin traitant sans leur accord alors que celui-ci est censé être obligatoire à toute déclaration. 

De nombreux-ses patient-es ont alerté sur les problèmes que pose Mon espace santé, notamment pour les personnes trans, psychiatrisées, les malades chroniques. Nous vous renvoyons à cet article de XY media sur le sujet : https://www.xymedia.fr/les-dangers-du-service-mon-espace-sante-pour-les-personnes-trans/

 

2. Informations, décisions partagées, choix du praticien

 

Les patient-es constatent souvent un manque profond d'information délivrée concernant leur propre santé. Infantilisé-es, jugé-es inaptes à comprendre car n'ayant pas "10 ans d'études" de médecine, les informations et décisions sur leur propre santé leur sont souvent mal délivrées voire deniées. Il est fondamental que la maladie ainsi que les traitements, et les conséquences de ceux ci soient expliqués, avec des explications intelligibles mais précises. Alors que le-a patient-e devrait être au centre de son parcours de soin, il n'en est souvent qu'un-e spectateur-rice qui ne peut que subir ou fuir.

De même, les examens complémentaires réalisés sont peu expliqués et les résultats doivent souvent être quémandés par les patient-es. 

 

De nombreux outils se sont développés ces dernières années sur la décision médicale partagée qui devrait, à notre sens, être la base de toute décision médicale. Ces outils existent, notamment, dans la prise en soins des problématiques liées au cholestérol ou bien au dépistage du cancer du sein par mammographie. 

Ces outils permettent d'estimer pour x personnes dépistées ou traitées combien tireront un bénéfice de l'intervention et combien auront des effets péjoratifs de cette intervention. 

On explique aux patient-es les risques liés à la pathologie, les risques liés au traitement, les risques liés aux examens de dépistage. Ensuite une fois toutes ces informations synthétisées, c'est le-a patient-e qui prend la décision finale en choisissant le risque lui paraissant le plus acceptable, chaque décision étant individuelle car le curseur d'acceptabilité du risque n'est pas le même chez toustes. Certain-es préfèreront vivre avec le risque de méconnaître un cancer jugé inoffensif car se développant très lentement quand d'autres voudront avoir l'information au plus tôt pour pouvoir anticiper les choses. 

 

Un autre frein à l'information et à la décision partagée est l'asymétrie relationnelle entre le soignant-e qui "saurait" et les patient-es qui ne sauraient pas et ne pourraient pas savoir. Le savoir expérientiel des patient-es est souvent méprisé par les soignant-es. Les patient-es ne peuvent, en effet, tout de même pas mieux savoir (avoir les mêmes  connaissances théoriques  que des soignant-es ayant fait x années d'études) mais iels ont d'autres savoirs, importants et à ne pas négliger. Or il est important de comprendre que les savoirs théoriques des soignant-es sont très différents et d'utilité différente à ceux des patient-es qui ont un vécu concret de leur maladie, en connaissent les tenants et aboutissants et le retentissement réel sur leur vie. Ils ont également souvent des tips, trucs et astuces pour aider au quotidien à supporter leurs symptômes qu'il est également important de connaître car ce sont des facilitateurs de vie. 

 

Enfin, se pose le problème du libre choix des soignant-es. En effet, les spécialisations et surspécialisations des soignant-es associées à l'intense désertification médicale font que les patient-es n'ont souvent qu'un choix limité de soignant-es s'offrant à eux pour une pathologie donnée ou même sur un territoire donné. 

En Ile de France notamment, où il est souvent déjà difficile de trouver un médecin traitant, il est encore plus difficile d'en changer si cela ne se passe pas bien avec ellui.

Il en est de même pour les spécialistes ce d'autant qu'on ajoute souvent une contrainte supplémentaire qui est celle de la sectorisation et donc des moyens financiers des patient-es. Un-e patient-e ne pouvant consulter qu'un praticien-ne en secteur 1 se verra offrir un choix encore plus limité. 

 

II. Vie quotidienne des malades et impact sur leur santé 

1. Le validisme dans le soin 

 

Le validisme est ominiprésent dans la vie des malades et handi-es. Invisible aux yeux des valides, il se situe pourtant PARTOUT et au quotidien. 

Pour prendre un exemple récent, la fin du port du masque dont semble se réjouir tant de valides est une exclusion de plus pour les malades et handi-es. Face aux "libérations" (on ne parle encore une fois que d'un carré de papier devant la bouche... et oserons-nous le nez !) progressives, les gens à risque ont donc du renoncer à leurs loisirs, sorties, puis à travailler en présentiel et enfin même à leurs déplacements sans prendre le risque non négligeable pour elleux de se contaminer et d'être potentiellement gravement malade. 

Cet exemple n'en est malheureusement qu'un parmi tant d'autres et le validisme ne se limite pas comme le veut l'esprit commun qu'à l'accessibilité PMR, même si rappelons le, celle ci est également très mal respectée.

 

2. Le coût très important de vivre avec une maladie chronique repose encore beaucoup sur les malades. 

 

Tout d'abord il existe les coûts les plus évidents que représentent les dépassements d'honoraires ou l'avance des frais de consultations quand le tiers payant n'est pas pratiqué, ce qui peut constituer un sérieux budget. 

On notera également que des médicaments  ou des aides à la mobilité sont peu remboursés par la Sécurité sociale. 

Enfin, les allocations ou pension d'invalidité sont très faibles  (sous le seuil de pauvreté) rendant celleux qui ne peuvent travailler à temps plein dans une situation de précarité qui se surajoute à toutes ces dépenses. 

Cela renforce fortement les inégalités sociales dans le soin. 

 

3. Être malade chronique, une survie contre l'administration

 

En cas de maladie chronique, obtenir quoi que ce soit pour se soigner ou vivre peut vite relever du parcours du combattant. 

Les problèmes administratifs sont nombreux et sans un conseil avisé d'assistant-es social-es spécialisées ou d'autres malades les situations sont souvent inextricables. 

Pour commencer, face à une maladie empêchant de travailler, 2 aides principales existent : l'allocation adulte handicapé si un handicap est lié à la maladie ou la pension d'invalidité. Selon différents critères (notamment le taux de handicap pour l'AAH ou les salaires précédents pour la pension d'invalidité), l'une ou l'autre sera plus ou moins "intéressante" (toutes proportions gardées puisqu'on reste sous le seuil de pauvreté) mais ne sont absolument pas cumulables. L'AAH peut "juste" compléter la pension d'invalidité si celle ci est inférieure à 900 euros jusqu'à atteindre 900 euros maximum.

Il faut donc bien se renseigner en amont, via des simulations, pour savoir laquelle des deux sera la plus rémunérante pour survivre. Il faut également avoir le temps nécessaire à remplir ces dossiers ainsi qu'un médecin disponible et compétent en la matière pour le compléter au mieux sur le versant médical. 

 Il y a également des entretiens qui sont menés où les malades doivent en quelque sorte "prouver" leur maladie et son retentissement avec des entretiens souvent réalisés à charge et pas toujours dans la bienveillance, au prétexte de limiter les "abus". On rappelle que la fraude sociale représente un montant négligeable et qu'il est ici question de personne ne pouvant plus/pas travailler et dont les ressources sont en deçà du seuil de pauvreté.

 

III. L'errance médicale et les problématiques spécifiques des malades chroniques

 

1. Errance médicale 

 

L'errance médicale est une problématique importante pour les malades notamment celleux présentant des maladies rares. On estime que le délai moyen entre le début des symptômes et un diagnostic de maladie rare est de 18 mois et pourra atteindre jusqu'à 5 ans pour environ 25% des patient-es. Ces délais extrêmement longs laissent les patient-es dans une incompréhension voire une détresse importante face à leurs symptômes inexpliqués. 

Cela peut aller jusqu'à entraîner un renoncement aux soins tant ceux-ci sont perçus comme ne pouvant rien apporter. 

Trouver un diagnostic, c'est mettre un nom sur la maladie qui affecte la personne, c'est aussi faire un pas vers une solution thérapeutique quand celle-ci existe, et également faciliter l'accès à des aides auprès de la MDPH.

Ces diagnostics sont d'autant plus difficiles à établir qu'il faut souvent faire appel à un centre de référence et que la simple connaissance des centres de référence est difficile à maîtriser et les délais de rendez vous  de ceux ci souvent très longs.

 

 

2. Malade chronique, malade "non rentable" 

 

Le système de paiement à l'acte rend les malades chroniques non rentables par essence. Les soins à apporter aux malades chroniques sont au long cours, un pari d'avenir pour une meilleure santé à terme quand la politique de santé va, via sa rémunération sur un mode "problème = solution immédiate" bien plus adapté aux maladies aiguës. 

En effet, les soins infirmiers chroniques sont très mal rémunérés quand ceux ponctuels le sont un peu plus. 

Il en est de même pour les consultations qui sont rémunérées au même prix quelque soit leur durée et favorise donc les actes plus courts que ceux chronophages d'une prise en soins globale et longue. 

Lors d'une hospitalisation, on se retrouve face au même problème, avec une augmentation de la durée moyenne de séjour (DMS) pour un malade chronique. Or on sait que plus une DMS est longue, moins l'hospitalisation est jugée rentable, ce qui pousse parfois à un tri des malades. 

On pourra aussi s'intéresser aux centre anti-douleurs qui sont peu nombreux dans les hôpitaux bien que surchargés de demandes et avec des délais pouvant dépasser 1 an. Ceux-ci sont considérés comme non rentables car les soins prodigués sont souvent coûteux, aussi bien du fait d'hospitalisations, de traitements (médicamenteux ou non médicamenteux coûteux) mais aussi de transports pour s'y rendre etc. 

Mais ces coûts évidents directs doivent être contrebalancés au niveau sociétal. Car au delà de l'aspect de soulagement pour la personne (qui est quand même l'essentiel des objectifs de soins), il y aura aussi potentiellement un moindre absentéisme au travail, une meilleure intégration dans la société, etc ce qui constitue des "économies" secondaires pour la société qui ne sont pas prises en compte du tout dans le calcul de la "rentabilité" d'un service. 

Bien entendu, on rappellera également qu'à nos yeux aucun soin n'a à être rentable et nous dénonçons évidemment cette logique. 

 

3. Le suivi des malades chroniques et ses problèmes

 

Les maladies chroniques bénéficient parfois d'un suivi pluridisciplinaire. 

Parfois celui-ci est centralisé au sein d'hôpitaux de jour spécialisés dans une pathologie qui coordonnent les soins. 

Mais le plus souvent ce suivi est morcelé entre chaque spécialiste qui soigne l'organe de sa spécialité, où la maladie dont il est spécialiste parmi les plusieurs autres présentées par les patient-es. 

On a donc un suivi par un à plusieurs spécialistes ainsi qu'un-e médecin généraliste,  un-e pharmacien, un ou des kinésithérapeutes, des orthophonistes, des ergothérapeutes, bref ça peut vite monter en nombre d'interlocuteur-rices.

Et parmi tous ces gens, la communication est au mieux via des courriers, arrivant plusieurs jours à semaines (oserons-nous mois...) après la consultation ou l'hospitalisation; rarement par téléphone, souvent uniquement en cas d'urgence. Sinon la communication est tout simplement absente et c'est aux patient-es de transmettre aux autres soignant-es les informations comprises en consultation (si tant est que ça lui ait été expliqué par ailleurs).

Le généraliste a souvent un rôle de centralisateur-rice des informations concernant les patient-es mais celleux-ci n'ont pas toujours l'envie ou la possibilité de se lancer là dedans, d'autant qu'iels n'ont pas toujours non plus tous les comptes-rendus à leur disposition, ceux ci étant envoyés entre médecins mais pas toujours aux patient-es, quand compte rendu il existe.

 

Au final, cette coordination revient, de fait, aux patient-es qui doivent organiser seul-es leur prise en soins et optimiser selon les préconisations de chacun qui sont parfois contradictoires. Le-a patient-e doit donc souvent évaluer par ellui même les balances bénéfices/risques, faire des recherches sur les traitements possibles, faire des recherches sur les spécialistes approprié-es à ses pathologies, organiser ses rendez vous et la cohérence de sa propre prise en charge.

 

En plus d'être malade, les patient-es ont à supporter la charge mentale de leurs soins. 

 

Il est urgent d'optimiser la coordination entre soignant-es pour les malades chroniques afin de faciliter leur prise en soins optimale, cesser les injonctions contradictoires et que chacun-e participe à cela. En effet la coordination des soins est de la responsabilité de toustes et pas seulement des patient-es ou des généralistes (comme bon nombre de choses qui incommodent d'ailleurs les spécialistes, comme les arrêts de travail ou les bons de transport d'ailleurs, mais c'est une autre histoire).

Une meilleure coordination des soins, un meilleur suivi global des malades chroniques entraînerait de meilleures prises en charge et bien moins de charge mentale sur les patient-es, qui ont déjà leurs maladies à gérer et dont ce n'est pas le travail.