Echange de courriers entre Mr Christian Saout (CISS) et Dr Guillemette Reveyron (UG)

Acte 1 : Lettre ouverte de Christian Saout aux sénateurs :

"L'accès aux soins pour tous, ça vous intéresse ?"
Lettre ouverte des citoyens-usagers de la santé aux parlementaires, censés les représenter.

Paris, le 12 mai 2009
Mesdames les Députées, Messieurs les Députés,
Mesdames les Sénatrices, Messieurs les Sénateurs,


L'examen par le Parlement du projet de loi relatif à l'hôpital, aux patients, à la santé et aux territoires (HPST) vient de connaître un épisode inédit qui amène à constater, avec regret, mais c'est comme cela, que nos institutions démocratiques refusent de répondre aux attentes réelles des Français.
Quelle était l'ambition de ce projet de loi ? Assez simplement, il se proposait d'organiser un peu plus un système de santé qui ne l'était que très peu et dont les défauts dans l'organisation ont un effet délétère sur la cohésion sociale. L'enjeu était donc de définir une organisation qui permette enfin de décloisonner la ville et l'hôpital, le sanitaire et le médico-social, le préventif et le curatif... mais pas de répondre aux légitimes inquiétudes que peut susciter l'application de la tarification à l'activité (T2A) ou de se focaliser sur la seule question de la gouvernance à l'hôpital.

En effet, avec le temps la médecine qui soigne est devenue la médecine qui refuse les soins. Cela n'est plus acceptable, car l'on prélève auprès des citoyens, au travers des impôts, l'équivalent de pas moins de 206 milliards d'euros pour ne plus être soignés.

- Car les soins sont refusés parfois de façon explicite par les médecins. En son temps une enquête du Fonds pour la couverture maladie universelle avait montré que 40 % des bénéficiaires de la couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C) n'avait pas accès aux spécialistes. Parce que ces médecins ne voulaient pas de cette clientèle-là.

- Plus sournoisement, les soins sont aussi refusés de façon implicite : les représentants des médecins ont obtenu que les gardes deviennent facultatives. Là où n'importe quel salarié comprend qu'il faut parfois accepter d'être de garde pour la continuité du service de la clientèle ou la sécurité d'un équipement industriel, certains médecins ont estimé qu'ils n'avaient aucune obligation de service public en échange des cotisations sociales que nous payons tous pour les faire vivre.

- Refus de soins implicites mais bien réels encore quand le rejet de toute contrainte à l'installation laisse des secteurs géographiques entiers sans médecins et des populations de plus en plus nombreuses sans solution pour être soignées.

- Refus de soins implicites encore quand les dépassements d'honoraires initialement prévus pour avoir un caractère exceptionnel deviennent la règle (6 milliards d'euros en année pleine tout de même !) et découragent ou interdisent l'accès aux soins de millions de nos concitoyens dans l'impossibilité d'acquérir une assurance complémentaire ou dont la couverture est médiocre.

- Avec une médecine de ville dans un tel état, il n'est donc pas étonnant que l'hôpital public serve de filet de sauvetage à tous ceux qui sont exclus des soins aggravant inutilement la pression sur un hôpital qui peine lui aussi à engager sa nécessaire évolution pour des raisons qui pourraient d'ailleurs faire l'objet d'une autre lettre ouverte. Car le spectacle du peuple hospitalier défilant avec les « plus hauts dépassements d'honoraires à l'hôpital » nous a laissés sans voix !

Voici donc pour le gros des effets délétères qui sont la conséquence du respect intangible  d'un credo libéral bientôt centenaire et auxquels une majorité de médecins ne veulent pas renoncer : aucune incitation financière, et elles sont nombreuses depuis plus de 20 ans maintenant, n'a permis d'obtenir d'eux que le service rendu à la population s'améliore. Au contraire, comme on vient de le montrer, il se dégrade : beaucoup de médecins ont su prendre l'argent mais pas les obligations.

C'est pour faire pièce à cette dégradation dans l'accès aux soins que le projet de loi HPST projetait de mettre en oeuvre quelques pare-feux.

Ces solutions n'étaient pas tombées du ciel. Elles ont été discutées. Des centaines d'heures d'échanges et d'auditions organisés par une demi-douzaine de rapporteurs commis à cette tache ont permis de réunir tout ce que la planète santé française compte de professionnels, de financeurs, de décideurs, de gestionnaires, de scientifiques, d'experts, de représentants d'usagers et de syndicats de salariés. Pendant une année, dont l'intensité n'avait rien à envier aux Etats généraux de la santé réunis en 1998, chacun a pu exprimer, dix ans après, ses positions et faire valoir ses attentes.

C'est maintenant le moment de regarder de près le sort que la majorité des représentants de la Nation a réservé à ces pare-feux, tentant d'organiser un système de santé au service de nos concitoyens plutôt que de le laisser continuer son oeuvre destructrice pour les personnes malades comme pour la santé publique.

Nous prendrons quatre exemples qui nous tiennent à coeur pour que chacun comprenne bien, au travers de cette lettre ouverte, la conception de l'intérêt général de la majorité de nos représentants au Parlement, et plus particulièrement celle des Sénateurs dont la Commission des Affaires sociales a procédé à un véritable démantèlement de quelques dispositions innovantes proposées par les députés.
1/ D'abord, le texte du projet de loi comportait un dispositif aménageant la charge de la preuve au profit du patient victime d'un refus de soin. Ce n'était pas si mal.
Et pas si nouveau : nous l'avions accepté pour les discriminations dans l'accès au logement ou dans l'accès au travail. Dans ces deux domaines, c'est à celui qui discrimine d'apporter la preuve que son comportement n'a pas conduit à la discrimination plutôt que de faire reposer uniquement sur la victime l'obligation de démontrer qu'elle l'est.
Les députés ont obtenu le retrait de ce dispositif. En lieu et place, ils ont créé une commission « bidon » chargée d'examiner les litiges en matière de refus de soins dont ils seraient saisis. Cette commission serait composée pour moitié de médecins. En la matière, il semblerait que l'on puisse être juge et partie !
Après le cycle « prélavage » à l'Assemblée Nationale, l'article 18 a donc perdu l'aménagement de la charge de la preuve.
2/ Cependant, l'Assemblée nationale, ce qui est à son honneur, avait au moins accepté d'aggraver les sanctions en cas de dépassement en prévoyant une amende dans les cas de non-respect du tact et de la mesure dans la fixation des honoraires ou dans les cas de discriminations dans les soins et de refus de soins.
Au cycle « lavage » de la Commission des Affaires sociales du Sénat, ces avancées en faveur des usagers ont été retirées.
3/ D'ailleurs le cycle « lavage » à la Commission des Affaires sociales du Sénat s'est fait à très haute température : c'est aussi la possibilité de conduire des actions de « testing » qui a disparu.
De quoi s'agissait-il ? De prévenir les refus de soins en essayant de les identifier pour mieux les combattre. Etait-ce choquant ? Non, nous le faisons dans d'autres domaines quand les comportements contreviennent à l'ordre républicain. Cette méthode a d'ailleurs reçu l'agrément de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (HALDE). Au nom du respect du principe constitutionnel d'égalité de traitement, elle opère dans tous les domaines où un citoyen est écarté en raison d'un critère prohibé de distinction. En supprimant le « testing », la majorité sénatoriale à la Commission des Affaires sociales révèle que la République l'indiffère et qu'il faut faire litière du principe d'égalité d'accès aux soins !
4/ La Commission des Affaires sociales du Sénat a forcé sur le cycle « essorage » en faisant disparaître tout début de solution dans la lutte contre les déserts médicaux
Les députés avaient proposé un « contrat solidarité santé » potentiellement applicable en 2013, sous réserve que d'autres « mesurettes » incitatives n'aient pas produit d'effet. La majorité des sénateurs de la Commission des Affaires sociales, qui a sans doute oublié au passage qu'elle invoque à chaque seconde sa qualité d'élus de proximité, a supprimé sans émotion le caractère obligatoire pour les médecins de ce contrat solidarité santé.
Pourtant, les clauses de ce contrat ne prévoient pas plus qu'une solidarité entre médecins de zones sur-dotées et sous-dotées. C'est vraisemblablement déjà trop pour une majorité de médecins décidément très attachés à leur liberté d'installation !
Au moment où d'autres professionnels de santé acceptent avec courage, comme les infirmières, des mesures de régulation pour mieux répartir l'offre sur tout le territoire au nom de l'intérêt général, certains médecins quant à eux n'entendent pas être solidaires des citoyens.

 

Nous aurions pu multiplier les exemples du travail de sape de l'intérêt général : médicalisation de l'éducation thérapeutique, abandon de l'obligation d'offre à tarif opposable pour les établissements de santé privés en situation de monopole.
Au travers de cette lettre ouverte chacun de nos concitoyens a maintenant compris que l'intérêt général n'est donc pas la valeur la mieux partagée par les représentants de la Nation en situation de décider au Parlement.

Probablement, la composition de l'Assemblée Nationale comme celle du Sénat au moment où l'on s'intéresse à la santé dicte-t-elle plutôt la préservation des intérêts des députés-médecins ou des sénateurs-médecins.

C'est dommage !
Mesdames et Messieurs les Parlementaires ne comptez pas sur nous pour faire de l'anti-parlementarisme. C'est denrée courante en France, il n'est pas utile d'en rajouter.

En revanche, approchant du terme de cette lettre ouverte, vient l'heure de la morale.

Le Collectif interassociatif sur la santé représente une voie d'expression des attentes de nos concitoyens en matière de santé. Cette expression est courageuse, sereine, affranchie de tout corporatisme, et respectueuse du débat démocratique.

Certains d'ailleurs ont choisi de disqualifier notre parole quand nous avons apporté notre soutien critique à un projet de loi qui se proposait de mettre un terme à la désorganisation coupable de notre système de santé mais qui proposait également des mesures visant  un meilleur accès de tous aux soins.

Ils ont joint leur voix à tous ceux qui se sont exprimés pour que le pouvoir médical soit un pouvoir sans limite. Voici le résultat : députés et sénateurs majoritaires ont clairement opté pour l'intérêt d'une corporation, toutes catégories confondues.

Mesdames les Députées et Mesdames les Sénatrices, Messieurs les Députés et Messieurs les Sénateurs qui avez voté ces renoncements au principe d'égalité d'accès à la santé, vous vous rendez complices de l'inégalité croissante dans l'accès à la santé.

Nous sommes en colère !


Pour le Collectif interassociatif sur la santé
Christian Saout,
Président


http://www.leciss.org/actualites.html?tx_ttnews[tt_news]=826&tx_ttnews[backPid]=1&cHash=5e8facdf25



Acte 2 : Lettre ouverte de Guillemette Reveyron (UG)  à Christian Saout

A monsieur Christian Saout
Président CISS
Le 18 mai 2009

Monsieur,

Dans votre lettre ouverte aux sénateurs et aux députés fous fustigez, une fois de plus les médecins libéraux et en particulier ces ignobles généralistes qui refuseraient de s'astreindre au service public après leurs journées de 13 heures de travail.
Ces nantis de médecins qui même s'ils n'arrivent qu'à la rémunération des généralistes tchèques, ne méritent pas, en réalité, de gagner leur vie avec leurs 70 heures de travail hebdomadaires et leurs 10 ans d'études non rémunérées pour la plupart des anciens.
Non ils ne le méritent pas car après leur double plein temps de semaine, ils refusent de rajouter 10 heures de garde de nuit ou jour fériés.
Un réel scandale, vous avez tout à fait raison de le souligner.
La nation, qui finance autant les universités de médecine que les autres a pourtant déjà trop sacrifié à ses fainéants qui dorment la nuit au lieu de travailler et parfois les 7 nuits de la semaine !
Incroyable !
Cette même nation qui leur paierait des sommes vertigineuses en charge sociale, tellement vertigineuses que le montant ne peut apparaître nulle part, ne pourrait pas, en retour, utiliser ces médecins de bas grade pour aller desservir des petites communes du fin fond des départements ruraux.
Impensable !
Car s'ils sont taxés comme des libéraux, ces médecins qui sont à vous lire, finalement des assistés, sont en dette toute leur vie, de leurs études comme de leur contrepartie conventionnelle à la dégradation de leurs honoraires.
Et oui, nous médecins généralistes libéraux, sommes les heureux bénéficiaires d'une médecine de premier recours qui ne permet même pas l'emploi d'une secrétaire à temps plein .
Nous sommes les heureux bénéficiaires d'un travail qui ne nous laisse plus aucun loisir.
Nous sommes les heureux bénéficiaires des réquisitions préfectorales, travail sous contrainte au pays des droits de l'Homme.
Vous avez parfaitement raison.
Alors pour nous repentir, nous vous proposons, bien humblement et la tête basse, de nous admettre comme les vertueux médecins des hôpitaux dans les rangs des salariés de la fonction publique.
Nous accepterons sans état d'âme les 35 heures et même nous nous sacrifierons pour atteindre les 48 heures hebdomadaires s'il le faut.
Nous sommes prêts à suivre la règle des congés payés, celle de la protection sociale intégrée et celle dictée par le code du travail.
Nous sommes même tellement prêts que beaucoup d'entre nous ne rêvent que de çà.
Retrouver une vie de famille après un travail circonscrit dans le temps, quel luxe !
Ne pas être contraint par les réquisitions à dépasser les limites du possibles en matière de temps de travail, quel bonheur !
Etre protégé par une assurance réelle dans chaque moment de notre exercice, quel confort !
Et finalement, comme salarié médecin des hôpitaux notre gain horaire restera remarquablement plus élevé que celui d'un libéral.
Méfiez-vous donc d'un retour de bâton.
Si tous les médecins libéraux deviennent salariés, alors les déserts fleuriront sans personne cette fois à vilipender et pour un coût autrement plus élevé.
A force de décrire votre perception de la réalité vous nous offrez une raison supplémentaire pour fuir la médecine générale libérale.
N'oubliez pas que tout le mépris contenu dans vos propos ne servira qu'à empirer la situation déjà difficile des médecins généralistes encore installés et ne fera rien pour attirer les jeunes vers ce métier décrié et dénigré.
Mais les patients que vous êtes sensé soutenir n'ont rien à attendre de cette interminable concert de critiques amères délétères et stériles.
Ils risquent fort, par contre, de regretter la disparition de cette profession.

Docteur Guillemette Reveyron (Union Généraliste - FMF)