Conflits d'intérêts : ce gouvernement veut il vraiment sortir de l'opacité ?

 

Le 22 mai 2013, soit 18 mois après l'adoption par le Parlement de la Loi de réforme du médicament (1), le gouvernement a enfin publié le décret d'application (2) sur la transparence des avantages accordés par les laboratoires pharmaceutiques (et cosmétiques) ainsi que la charte sur l'expertise sanitaire (3).

La charte sur l'expertise sanitaire établit le principe d'indépendance comme règle de fonctionnement.

Le décret impose la publication dès octobre 2013 (et de façon rétroactive sur 2013 et 2012) des avantages "en nature ou en espèces" reçus par les professionnels de santé et étudiants, ainsi que par les associations les représentant, les associations d'usagers du système de santé, les établissements de santé, les fondations, les sociétés savantes, les entreprises éditrices de presse, les éditeurs de logiciels d'aide à la prescription et à la délivrance ainsi que les personnes morales assurant la formation des professionnels de santé. Ces informations seront à terme accessibles sur un site Internet public unique.

 

Le Syndicat National des Jeunes Médecins Généralistes (SNJMG), comme les autres organisations militant pour l'indépendance médicale, réclamait depuis longtemps un "Sunshine Act" à la française (en référence à la loi étatsunienne correspondante) et nous aurions dû logiquement féliciter le gouvernement pour la publication de ces textes.

Malheureusement, tout comme un certain nombre d'observateurs avisés, nous relevons des carences préoccupantes dans ces textes :

- la charte sur l'expertise reconnait (et justifie) des exceptions à la règle d'indépendance ;

- pour les avantages reçus, les avantages d'une valeur inférieure à 10 euros ne sont pas concernés par le décret, alors que le rôle des "petits cadeaux" a été clairement établi (4) ;

- rien n'est prévu concernant les informations des années antérieures à 2012 ;

- aucune date n'est arrêtée pour la mise en ligne du fameux site internet public (en attendant, les informations seront publiées sur les sites des entreprises du médicament et des ordres professionnels) ;

- aucune de ces informations ne sera indexable par les moteurs de recherche (un comble pour une mesure de transparence !) ;

- ces informations ne seront consultables que sur une durée de 5 ans et archivées que sur 5 années de plus (à titre d'exemple, le Médiator a été retiré du marché après avoir été disponible en pharmacies pendant 30 ans...) ;

- pour les conventions passées entre industriels et acteurs de santé, le site n'informera que de l'existence des conventions "sans contrepartie" (et guère plus !)

- les conventions "avec contrepartie" resteront confidentielles et n'apparaitront pas sur le site.

 

Bref, avec un tel dispositif, les arrangements les plus sophistiqués et les plus rémunérateurs avec l'industrie pharmaceutique (et cosmétique) ont encore de beaux jours devant eux !

Ainsi, comme le remarquent le Conseil National de l'Ordre des Médecins (5) et le collectif "Europe et Médicament" (6), ces textes ne permettront pas au public "de connaître les montants des contrats passés entre les firmes et les acteurs de la santé, ni même l'existence de tous les contrats".

Et, comme le signale le Syndicat de la Médecine générale (SMG), le montage "d’associations écran" risque d’être une façon de contourner la loi en dissimulant les personnes physiques réellement bénéficiaires (7).

 

Le caractère timoré de ces textes pourrait surprendre de la part d'un gouvernement affichant une volonté de lutter contre tout conflit d'intérêt. En fait, il est en totale cohérence avec les actes de ce gouvernement qui n'a toujours pas remis en question l'influence de l'industrie pharmaceutique dans le système de santé.

Tout le problème est là : Quand ce gouvernement finira-t-il par comprendre qu'il accepte l'influence d'un lobbying particulièrement pernicieux en accordant sa confiance à des personnalités dont la notoriété peut servir de cheval de Troie à des intérêts contraires à la Santé publique ?

Le SNJMG appelle donc le gouvernement à changer de cap et à amorcer un vrai débat démocratique avec les organisations indépendantes de patients et de soignants de terrain.

La question reste donc en suspens : les lumières du "Sunshine Act" amèneront-elles nos politiques à questionner leurs relations avec le monde de la Santé et à élargir leur vision de l'avenir au bénéfice de nos concitoyens ?

 

Auteurs : Conseil National et Bureau du SNJMG

Contact Presse : Docteur Théo COMBES, Président du SNJMG

president@snjmg.org - 05 63 58 34 71

 

1- Loi n° 2011-2012 du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé

2- Décret n° 2013-414 du 21 mai 2013 relatif à la transparence des avantages accordés par les entreprises produisant ou commercialisant des produits à finalité sanitaire et cosmétique destinés à l'homme

3Décret n° 2013-413 du 21 mai 2013 portant approbation de la charte de l'expertise sanitaire prévue à l'article L. 1452-2 du code de la santé publique

4- Collectif Europe et Médicament " Cadeaux des firmes aux soignants : la transparence ne se marchande pas" (août 2012)

5- Décret sur la publication des liens d’intérêt et la transparence : nous sommes très loin du compte(CNOM)

6- Décret sur la transparence en santé : opacité inacceptable sur les contrats des soignants avec les firmes (Europe et médicament)

7- Décret « sunshine » : une fausse transparence (SMG)